Depuis cinq ans, chaque dimanche dans le Courrier picard, les Histoires de prétoire présentent non pas les plus importantes affaires du rôle d’audience mais les plus émouvantes, énervantes, cocasses, amusantes. La fidélité des lecteurs et les encouragements de certains confrères m’ont donné envie de les réunir dans ce blog, avec (car la maison ne recule devant aucun sacrifice) quelques autres articles que j’ai commis.
Ces pages sont-elles réservées aux spécialistes du droit ou à quelques voyeurs qui se complairaient du malheur des autres ? Je ne le crois pas, tant ces tranches de vie me semblent au contraire universelles.
Alors bonne lecture ! Et demandez-vous avec Victor Hugo : « Qui sait si l’homme n’est pas un repris de justice divine ? »
L’affaire de la semaine, c’était le procès, à Laon, de Gérald Descamps, condamné à 20 ans de réclusion pour avoir tué Caroline Pirson, en décembre 2016, à Saint-Quentin. La victime était sourde et muette, l’accusé aussi, tout comme les deux tiers des témoins qui ont défilé à la barre. D’où la présence – exceptionnelle – de quatre interprètes en langue des signes.
Par leur biais, on découvre un monde inconnu car silencieux, qui n’est pas situé dans un continent lointain mais au cœur de nos cités. « Sourd-muet, c’est une dénomination impropre. Les sourds peuvent parler, leurs cordes vocales fonctionnent parfaitement. » L’apprentissage n’a rien d’une sinécure. Quand l’enfant commence à articuler « papa » et « maman » à force de l’entendre rabâcher, le sourd ne dispose d’aucun modèle sonore. Par tâtonnements, il découvrira quelle vibration produit quel son. « Le plus fort, c’est que les sourds peuvent avoir un accent : celui de leur orthophoniste », s’amuse une interprète.
Le procès d’assises révèle à quel point les sourds vivent entre eux. Tout le monde connaît tout le monde. La référence à la « communauté » revient en boucle, les intrigues amoureuses se nouent majoritairement entre sourds, qui se connaissent depuis une scolarité dans des écoles spécialisées.
Ainsi, on prend la mesure du choc éprouvé par l’accusé, interpellé à 6 heures du matin et projeté dans le monde bruyant de la garde à vue. D’où le doute quand, quatre ans plus tard, l’homme est déféré devant la cour d’assises. D’abord, personne ne semble vouloir s’adapter à la situation. Lorsqu’il faudrait des questions courtes et claires, les parties en posent de longues, parfois alambiquées. On observe les interprètes dont les mains volent, hésitent, reprennent leur danse au fur et à mesure des hésitations, des ellipses et des « euh… » Surtout, dans ce dossier, les incohérences des déclarations de l’accusé pendant l’instruction pèsent lourd. On lui reproche par exemple d’avoir nié avoir touché la carte bancaire de la victime (or son ADN était dessus). « On lui avait demandé s’il l’avait utilisée » objecte son avocate. « Touchée » ou « utilisée », ça donne quoi en langue des signes ? Cette subtilité, peut-être anodine devant le policier, devient cruciale devant les jurés (or à chaque mot ne correspond pas toujours un signe !) « On l’écoute mais est ce qu’on l’entend ? » se demande la même avocate.
Enfin, il y a l’impression… Une éducatrice vient à la barre : « Ils peuvent faire peur parce qu’ils nous semblent toujours très énervés, reconnaît-elle. Les sons qu’ils parviennent à exprimer peuvent nous faire penser à des cris. Ils sont très directs. D’ailleurs, ils trouvent que nous, les “entendants”, nous tournons toujours autour du pot » . Ni pires ni meilleurs, ils sont citoyens de la vaste contrée de la différence, celle qui fait si peur à ses voisins.
Meurtre de Grégory Foulon : les personnalités cabossées des accusés
Un psychiatre a qualifié d’« effet de meute » le processus qui a abouti au passage à tabac fatal d’un marginal, le 29 juin 2017 à Beauvais.
Le lieu du crime.
La première journée d’audience était consacrée à la personnalité des accusés, hier (le verdict est attendu mardi prochain). On en ressort avec cette impression : leurs parcours de vie sont aussi chaotiques et violents que la journée du 29 juin 2017, au terme de laquelle Grégory, un SDF de 45 ans, est mort avant que son corps ne soit jeté dans un bosquet de Tillé, le lendemain, et retrouvé par un promeneur, le surlendemain.
« Au départ, il y avait une ambiance plutôt festive », résume un expert psychiatre. Il y a fête et fête… Ce jour-là, au 120 rue d’Amiens, le menu comporte de la cocaïne, des litres de rhum et du sexe avec la maîtresse des lieux, Déborah.
Elle se présente à l’audience, ce jeudi, enceinte de sept mois. « J’avais recueilli Grégory pour le sortir de sa galère. Il n’avait plus de contacts avec sa famille. C’est pas une vie de vivre dans la rue », dira-t-elle. Pour lui, ce n’est hélas plus une vie du tout…
Déborah n’est pas la plus impliquée dans ce dossier. Elle répond de non-assistance à personne en danger.
« EXTRAORDINAIRE AU SENS PREMIER »
Car l’autopsie est formelle : malgré la succession des coups, notamment au visage, Grégory, secouru rapidement, aurait pu être sauvé. L’histoire de la femme de 34 ans, originaire de Vendée est « extraordinaire au sens premier », insiste son avocat M e Garnier : cannabis à 12 ans, héroïne à 14, prostitution à 15, une balle dans la jambe lors d’une bagarre de bar, une artère artificielle…
Et pas une mention au casier, au contraire de Carmelo Bisset, le vétéran de ce dossier, 44 ans et 42 condamnations, sans compter celle pour viol (dont il a fait appel) que vient de prononcer la cour d’assises de Toulouse.
« Il a dû passer dix-huit ans en prison » , résume son conseil Me Demarcq. Bisset est arrivé du Congo à l’âge de 7 ans. C’est lui qui a invité chez Déborah ses deux copains Dylan Wegner, 26 ans et Bryan Holberbaum, 23 ans. Les trois hommes, à un moment ou à l’autre de l’enquête, ont avoué avoir commis des violences sur la victime, tout en accusant les autres d’avoir tapé le plus et le plus fort. L’audience dira s’ils maintiennent.
Leurs vies sont faites de familles déstructurées, de pères absents, de scolarité médiocre, d’insertion professionnelle à l’avenant et d’addictions diverses et variées.
Comme des rivières tendant vers un fleuve, elles ont afflué le 29 juin 2017 à Beauvais, pour le plus grand malheur d’un homme au parcours guère plus linéaire, qui aurait payé au prix fort le fait d’avoir volé à Bryan 500 euros, un téléphone et de la cocaïne.
20/11/20
24 heures pour mourir
Au deuxième jour d’audience, la chronologie de la nuit et du jour qui furent fatals à Grégory a été établie.
LES FAITS
LE 1ER JUILLET 2017, LE CORPS SANS VIE DE GRÉGORY FOULON, 45 ANS, EST RETROUVÉ
dans un fossé de la route de Rieux, à Tillé, au nord de Beauvais
IL SERAIT MORT LORS D’UNE SOIRÉE ALCOOLISÉE dans la nuit du 29 au 30 juin, dans l’appartement qu’occupe Déborah Charrier. Y participaient Bryan Holberbaum, Bertrand Carmelo et Dylan Wegner.
TOUS TROIS SONT RENVOYÉS POUR MEURTRE devant la cour d’assises de l’Oise, tandis que Mme Charrier doit répondre de non-assistance à personne en danger.
UNE CINQUIÈME PERSONNE, Joé Deby, est convoqué pour recel de cadavre.
Le lieu de découverte du corps.
La présidente Brancourt a eu la riche idée, ce vendredi, de soumettre aux quatre principaux accusés la chronologie qui a abouti à la mort de Grégory Foulon, 45 ans, entre le 29 et le 30 juin 2017, rue d’Amiens à Beauvais. Unité de temps et de lieu : c’est bien une tragédie qui s’est jouée cette nuit et ce jour-là.
Vers 21 heures le jeudi 29, Carmelo Bisset, Déborah Charrier et un prénommé Abdel (qui quittera très vite la bande) partent acheter de l’alcool au Carrefour Market de la place des Halles. Ils y rencontrent Bryan Holberbaum et Dylan Wegner, que Bisset invite à venir chez Déborah. Là, ils retrouvent Foulon, SDF hébergé depuis trois semaines par la jeune femme, toxicomane et prostituée.
FRAPPÉ POUR UN VOL QU’IL N’A PEUT-ÊTRE PAS COMMIS
Alcoolisation massive, usage de stupéfiants : à un moment, Bryan s’endort pendant que Déborah, Carmelo et Dylan s’isolent dans la chambre. Vers 3 heures, Déborah, Carmelo, Dylan et Bryan repartent en ville chercher du whisky, qu’ils commandent via l’appli Allô Apéro. Les deux premiers se rendent chez un ami pour consommer de la cocaïne. Pour Carmelo, il s’agit ainsi de « payer la prestation » de Déborah, qui s’est soumise à des rapports sexuels toute la soirée.
Dylan et Bryan rentrent à l’appartement. Bryan réalise qu’il s’est fait voler 500 euros, de la cocaïne, une chevalière, une puce de téléphone. « L’argent n’était pas à moi, sinon je m’en foutrais », confiera-t-il à sa sœur. Il frappe le premier Grégory, qu’il soupçonne. Dylan tape aussi. Grégory se récrie : c’est Carmelo l’auteur du vol ! Ce dernier ne revient que vers 13 heures, ce vendredi 30, avec Déborah. Mis en cause, il se défend et cogne à son tour la victime, « avec une bouteille cassée et un couteau », accuse Déborah (témoin privilégié mais qualifié de « mythomane » par le psychiatre).
Carmelo part en fin d’après-midi. Restent Bryan et Dylan. « Ils m’ont interdit de quitter la chambre », conte la femme. Dans la nuit j’ai vu un homme que je n’ai pas reconnu. Vous savez, je ne suis pas raciste mais un noir, dans le noir… Et puis j’ai entendu un grand bruit (elle pleure) Ils ne l’ont même pas traîné, ils l’ont jeté ! »
« Ce n’est pas un vol de trottinette, quand même ! Et puis je me mariais une semaine plus tard ; je n’avais pas envie de voir la police débarquer à la noce »
Le frère d’un des accusés
Dans la Clio de son frère Joé – dont l’implication réelle est discutée – Dylan, et Bryan, se rendent à Tillé où ils précipitent le corps dans un talus. Un promeneur le trouvera le samedi 1er juillet. Deux jours plus tard, Holberbaum confie à son frère qu’il veut s’enfuir. Le frère décide aussitôt d’alerter la police. « Ce n’est pas un vol de trottinette, quand même ! Et puis je me mariais une semaine plus tard ; je n’avais pas envie de voir la police débarquer à la noce », justifie-t-il honnêtement à l’audience.
21/11/20
Encore beaucoup de questions en suspens
Reprise ce lundi du procès de trois hommes accusés du meurtre de Grégory Foulon, le 30 juin 2017 près de Beauvais. Le verdict est attendu mardi soir.
La deuxième journée du procès de trois hommes pour meurtre, ainsi que de deux complices, s’est achevée vendredi soir par les rapports des médecins légistes. I
ls ont énuméré du ton clinique qui sied à leur mandat une liste interminable d’ecchymoses, fractures, plaies et hématomes relevés sur le corps du SDF de 45 ans, retrouvé dans un talus de Tillé, près de Beauvais (Oise), le 1 er juillet 2017. La présidente Brancourt a tristement résumé : « Il y a peu de parties du corps qui n’aient pas fait l’objet de traumatismes. »
« Il y a peu de parties du corps qui n’aient pas fait l’objet de traumatismes. »
Quelques certitudes sortent du rapport : Grégory a été victime de coups de pied ou de poing mais aussi d’une arme blanche, au niveau de la cuisse, et d’un « objet contondant » sur le crâne. Sa mort est due aux lésions cérébrales. Seules, les autres blessures, même sa fracture du rein, ne l’auraient pas tué. Il a forcément éprouvé « une grande souffrance » : le dossier enseigne en effet qu’il s’est écoulé au moins dix heures entre les premières et les dernières agressions dont il fut victime, de la part successivement de Bryan Holberbaum, Dylan Wegner et Carmelo Bisset (23, 26 et 42 ans). Il aurait « pu être sauvé s’il avait été secouru à temps ».
Cet ultime point est un pavé dans la mare de Déborah Charrier, locataire de la rue d’Amiens où le drame a eu lieu, lors d’une soirée dédiée à l’alcool, au sexe et aux stupéfiants. Elle est poursuivie pour non-assistance à personne en danger. Pouvait-elle s’opposer aux trois tueurs ? Vendredi, le psychiatre a diagnostiqué chez elle « une forte altération du discernement » mais pas une abolition.
Meurtre ou violences mortelles ?
L’expertise ne sert pas non plus Bisset. Les coups au crâne, à l’aide d’une bouteille cassée, seraient de son fait.
Son avocat, Me Guillaume Demarcq, a senti le danger, suggérant que la victime était peut-être encore vivante quand Holberbaum et Wegner l’ont précipitée dans l’escalier pour rejoindre Tillé dans la Clio de Joé, demi-frère de Wegner, qui nie avoir su à quoi elle servirait en la prêtant. « Les contusions ne correspondent pas à une chute », ont tranché les légistes.
Quand on saura qui a porté les coups mortels, il restera encore à déterminer si un, deux ou les trois hommes (selon le principe de la coaction) ont eu l’intention de tuer. Cette nuance sépare, en droit, le meurtre des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (en réunion et avec arme). Le premier est puni de trente ans de réclusion, les secondes de vingt.
23/11/20
“Il n’avait plus de visage, monsieur…”
Une nuit d’ultra-violence a abouti au calvaire puis à la mort de Grégory Foulon, en juin 2017.
À 16 h 30 hier, au troisième jour du procès et à la veille du verdict, les cinq accusés ont enfin été interrogés sur l’enchaînement des faits ayant abouti à la mort de Grégory Foulon, le 30 juin 2017 à Beauvais, puis à « l’évacuation » de son cadavre dans un talus de Tillé, le 1 er juillet. Leurs témoignages sont en partie contradictoires.
Pour schématiser, le duo Bryan Holberbaum-Dylan Wegner admet, dans la nuit du jeudi au vendredi, avoir frappé la victime à intervalles réguliers pendant huit heures, parce qu’Holberbaum la soupçonnait de lui avoir volé de l’argent, un téléphone et de la cocaïne. C’est pour mieux s’exonérer de la responsabilité directe de la mort du quadragénaire en la faisant porter sur Carmelo Bisset : « Quand il est arrivé le vendredi midi et qu’on lui a dit que Grégory l’accusait du vol, Carmelo s’est énervé. Il lui a mis un coup de couteau dans la cuisse et il lui a tapé sur le crâne avec une bouteille de bière » , accuse Bryan Holberbaum.
LA FÊTE CONTINUE
Ce qui réunit ces deux-là, deux petits délinquants de 23 et 26 ans, c’est le ton monocorde avec lequel ils retracent le calvaire d’un homme : les coups, les râles, le vomi, le sang, l’agonie ; un déchaînement de violence digne du film Orange Mécanique. Il y a le ton mais aussi le contexte.
« DÈS LE DÉPART, TOUT ÉTAIT ARRANGÉ »
Après s’être débarrassés du corps et avoir nettoyé la maison, vont-ils sombrer dans le remords ? Non, le 2 juillet, le rhum coule toujours et la fête continue chez Déborah, rue d’Amiens.
Bryan écrit à un copain : « J’suis chez la meuf, tu veux te faire sucer ou pas ? » Pour info, il voudra… Après Murmures et Chuchotements, Au Théâtre ce soir. Carmelo Bisset, c’est un autre style et un autre pedigree (44 ans et 42 mentions au casier judiciaire). « Je ne veux pas passer pour le berger qui a guidé les moutons », prévient-il. Il mime le seuls coups qu’il veut bien avouer, des entrechats plutôt que des coups de pied. Il alterne les « Sérieusement madame » et « Soyons sérieux ». Il crie au complot : « Dès le départ, tout était arrangé ». Il accuse formellement Holberbaum d’avoir frappé Grégory au crâne. Diagnostiquée mythomane, Déborah est fidèle à sa réputation. Sauf, certainement, quand elle décrit l’apparence de Grégory : « Il n’avait plus de visage, monsieur … »
Un père, un frère, un fils
Cette dernière journée avant les plaidoiries a aussi permis de ne pas résumer la victime, Grégory Foulon, à son ultime calvaire à l’âge de 45 ans. S’il avait connu une dernière année difficile, au point d’être recueilli dans son studio aux allures de squat par Déborah, Grégory, 45 ans, n’était pas totalement coupé de sa famille, insiste son frère.
Grégory, élevé dans le quartier Argentine comme tous les protagonistes de ce dossier (sauf la femme) avait quitté Beauvais à 20 ans pour fonder une famille dans l’Aude. Il en était revenu en 2014 après une séparation. Son frère le logeait. Il le décrit comme « fragile, perdu, démotivé ». Grégory est en contact permanent avec ses sœurs et sa mère mais l’alcool et les stupéfiants l’orientent vers de dangereuses fréquentations.
24/11/20
De 15 à 18 ans de réclusion pour les meurtriers de Grégory Foulon
L’avocate générale a requis hier 20, 18 et 15 ans à l’encontre des trois hommes accusés du meurtre de Grégory Foulon en 2017. Les jurés ont opté pour 15, 17 et 18 ans.
LES FAITS
1ER JUILLET 2017 : découverte du cadavre de Grégory Foulon, un Beauvaisien de 45 ans, dans un talus de Tillé. L’homme a été battu à mort, sur fond d’alcool et de stupéfiants, dans la nuit du 29 au 30 juin.
24 NOVEMBRE 2020 : la cour a condamné pour meurtre Carmelo Bisset (42 ans) à 17 ans de prison, Bryan Holberbaum (23 ans) à 18 ans et Dylan Wegner à 15 ans. Déborah Charrier est condamnée à 24 mois dont 8 ferme pour non-dénonciation de crime. Joe Deby écope de 18 mois dont 12 ferme pour avoir transporté le cadavre.
Certaines dernières journées de procès d’assises semblent prendre plaisir à embrouiller des dossiers déjà compliqués. Ce fut le contraire, ce mercredi à Beauvais, où pourtant se sont succédé sept avocats et une avocate générale. On veut croire que leur talent n’y est pas étranger. Leur volonté de faire court et simple aussi…
Aurore Masson, l’avocate générale, a ainsi trouvé les mots pour expliquer la notion de coaction : « Ils se rejettent la responsabilité, vous n’aurez pas de réponse claire mais peu importe ce qu’a fait X ou Y ! Ils étaient tous là, tous actifs, donc ils sont tous responsables ». Même souci de pédagogie pour développer la notion d’intention meurtrière : « Ils ne se sont pas levés ce matin-là pour tuer ? Ils ne voulaient pas tuer en commençant à frapper ? Ce n’est pas le problème, car on ne parle pas d’assassinat. L’intention, elle découle de l’intensité des coups portés, de leur localisation dans des zones vitales et de leur nombre. Les légistes ont relevé 65 marques de coups et sept fractures ! » La jeune magistrate parle « d’acharnement ».
Elle pourrait mettre les trois accusés dans le même panier. Elle s’y refuse, requérant 20 ans contre Carmelo Bisset, à cause de ses 33 mentions au casier (et non 42 comme écrit par erreur hier) et son « absence totale de remise en question » ; 18 ans contre Bryan Holberbaum, parce qu’il a frappé le premier, soupçonnant la victime d’un vol de cocaïne et d’argent ; 15 ans contre Dylan Wegner, dont l’implication serait moindre.
« DU SABLE »
« Dylan est celui qui a pris conscience que ça allait trop loin et a pris le couteau des mains de M. Bisset », objecte Me Buicanges. « Bryan n’a jamais voulu la mort de M. Foulon. Il est le premier à avoir parlé, il a reconnu avoir frappé le premier, il n’a jamais varié ensuite », complète Me Risbourg.
Leur confrère Me Demarcq est un peu seul contre tous, au soutien des intérêts de Carmelo Bisset. Lui aussi combat l’intention homicide. Il n’est pas convaincu par le réquisitoire, « agréable sur la forme, mais c’est du sable ». Il rappelle que « pendant six ou huit heures, Carmelo n’est pas dans cet appartement » , au contraire de Bryan et Dylan ; que quand ces deux-là (et peut-être le demi-frère de Dylan) partent jeter le corps, Carmelo n’y est toujours pas. Il exhorte surtout les jurés à douter, faute de preuve absolue. « Parce que demain, dans ce box, ça pourrait être votre gosse… »
Le policier municipal d’Amiens, à qui Didier s’est adressé, en septembre 2015, n’en est toujours pas revenu : « Bonjour, qu’est-ce que je risque si j’ai violé ma belle-sœur qui a onze ans ? Elle me relance, mais moi j’ai peur que ma copine elle s’en aille ». Didier, 36 ans, sous curatelle renforcée, est fragile psychologiquement. Son interlocuteur s’en est rendu compte, mais l’affaire était assez sérieuse pour qu’il l’oriente vers la police nationale. Cette dernière a mené l’enquête sérieusement. Elle a même organisé une confrontation surréaliste lors de laquelle Didier s’accusait tandis que sa supposée victime jurait qu’il ne s’était rien passé entre eux. Le parquet a classé l’affaire et aussitôt, Didier a été interné à l’hôpital psychiatrique. En 2018, changement de scénario. C’est la jeune fille, maintenant âgée de 16 ans, qui pousse la porte du commissariat. Elle explique que le 13 juillet, sur le balcon de l’appartement de sa sœur, son beau-frère lui a mis « une claque aux fesses puis a laissé traîner sa main. Mais en 2015 c’était beaucoup pire ! » précise-t-elle, évoquant des caresses « en haut et en bas », presque tous les jours. Didier est entendu. Il dit tout et n’importe quoi. Une fois il l’a fait, une fois il est innocent. À l’audience d’octobre 2020, au moins, il a réglé son compas : « Je ne l’ai jamais touchée, c’est une certitude. J’ai une femme et un enfant, j’ai un travail quand même ! » Le procureur lui rappelle ses « aveux circonstanciés », à la fois en 2015 et en 2019. L’avocate de la partie civile éteint le sourire que cette drôle d’affaire pourrait susciter. Elle explique que sa cliente – à onze ans ! – a été accusée de provocation parce qu’elle portait un jeans moulant ; que ni sa mère, ni sa sœur ne l’ont soutenue.
Me Moreau, en défense, relativise : « Des aveux ? Si on peut appeler cela des aveux… » Ses arguments sont retenus par les juges : « Monsieur, vous êtes relaxé, parce que vos auditions sont contradictoires et que vous avez été interrogé sans que votre curatrice, le juge des tutelles ne soient informés, ni que vous soyez assisté d’un avocat ».
Quelques heures plus tard, on apprend que le parquet fait appel, qui avait requis dix mois avec sursis : « Dans ce dossier, il y a peu de doute, sauf à faire fi de tout ce qu’on a appris sur les victimes depuis vingt ans. Cette gamine, si elle l’accuse en 2015, elle est toute seule. Sa mère est terrifiante. Elle ne sait rien et elle ne veut surtout rien savoir… » Didier tremble de tout son corps. Le procureur insiste : « C’est si difficile de reconnaître ?”
Jugé pour le meurtre de Caroline Pirson à Saint-Quentin
Gérald Descamps comparaît à partir de ce jeudi 12 novembre 2020 pour le meurtre de Caroline, sourde-muette comme lui, commis le 30 décembre 2016 à Saint-Quentin. Le verdict est attendu mercredi 18 novembre.
Gérald Descamps sera défendu par Mes Caroline Jean (à gauche) et Marion Beaurain.
Le 31 décembre 2016, Caroline Pirson, 47 ans, est découverte sans vie par son propre père au 18 rue Boileau, appartement 22, à Saint-Quentin (Aisne). Le corps, vêtu d’un legging et d’un soutien-gorge, la tête partiellement couverte d’un sac-poubelle, est allongé sur un drap, dans la salle de bain. Dans le salon, sur et autour du canapé, on décèle de nombreuses traces de sang. Le plus grand désordre règne dans la chambre.
L’autopsie dénombrera seize plaies au crâne et au visage, ayant pu être causées par une arme blanche. Elle estime que le décès est survenu entre 19 heures, le 30 décembre et 5 heures le jour de la Saint-Sylvestre.
Une enquête laborieuse
Une longue enquête commence pour les policiers de l’Aisne. L’arme du crime ne sera jamais retrouvée. Une voisine indique qu’elle a entendu un cri de femme vers 22 h 30. D’ailleurs, la carte bancaire de Caroline a été utilisée plusieurs fois dans des distributeurs de billets de Saint-Quentin, à partir de 22 h 46 le 30 décembre jusqu’à 19 h 49 le 6 janvier, lorsqu’elle est avalée. Certains retraits ont été filmés. Apparaissent une silhouette qui ne peut être formellement identifiée et un scooter TNT Motor. Mais au moins cinquante Saint-Quentinois en possèdent un.
Les investigations s’orientent d’abord vers le dernier compagnon régulier de la victime. L’homme, domicilié à Lille mais qui passait régulièrement le week-end chez Caroline Pirson, est interpellé chez des amis à Mers-les-Bains (Somme), le 2 janvier. Il explique que sa partenaire avait mis un terme à leur relation le 30 décembre en fin d’après-midi, et qu’il n’a rien à voir avec le meurtre. L’exploitation de sa téléphonie et les interrogatoires de ses proches semblent en attester.
De nombreuses gardes à vue rythment l’année 2017. L’entourage de la victime, en partie composé de personnes sourdes-muettes comme elle, est passé au peigne fin. L’enquête se focalise notamment sur un de ses amants, qui sera même placé en détention provisoire mais bénéficiera d’un non-lieu au terme de l’instruction.
Aucune preuve formelle
Il n’en va pas de même de Gérald Descamps, 50 ans aujourd’hui, lui-même sourd et muet, appelé dès ce jeudi à répondre devant la cour d’assises de l’Aisne du meurtre de Caroline Prison, du vol de divers objets et de l’utilisation de sa carte bancaire. Il a toujours nié et aucune preuve absolue ne le confond.
En revanche, son ADN a été retrouvé sur la carte bancaire avalée par le distributeur de la Caisse d’Épargne, et des traces de son sperme sont apparues sur un plaid, prélevé sur les lieux du crime. Descamps possède le même type de scooter que celui apparu sur la vidéosurveillance. Cet homme, accro aux jeux de hasard, a déjà été condamné pour des violences, notamment sur son ex-compagne alors qu’elle était enceinte. La victime avait confié à plusieurs amis qu’elle avait peur de lui.
Surtout, Gérald Descamps paie ses nombreux revirements pendant l’enquête. Dans un premier temps, il nie tout contact avec la morte et tombe des nues à propos de son ADN sur la carte ; au fil de l’instruction, il se souvient d’avoir eu un rapport sexuel et d’avoir touché incidemment le moyen de paiement.
Son procès, programmé en mars et renvoyé pour cause de Covid-19, aura lieu du jeudi 12 au mercredi 18 novembre, à Laon. En raison de son handicap, il sera assisté d’un interprète en langue des signes, d’où les cinq jours d’audience.
Ses avocates plaideront l’acquittement
Gérald Descamps sera assisté par deux jeunes avocates, Mes Marion Beaurain et Caroline Jean, des barreaux de Saint-Quentin et Amiens. À quelques jours du procès, elles annoncent leur intention de plaider l’acquittement.
« Il a été constant dans ses dénégations, rappelle la première. On parle d’un motif vénal, mais il bénéficiait de revenus réguliers, grâce à son travail et à une allocation ». « Dans ce dossier, il n’y a donc ni mobile, ni arme du crime », complète Me Jean.
Selon elles, son handicap a pu le desservir pendant ses interrogatoires. « C’est un homme dépressif, profondément marqué. Il donne l’impression d’accepter ce qui lui arrive, comme si son innocence allait forcément finir par apparaître », analyse Me Beaurain.
12/11/20
Meurtre de Caroline Pirson : entendre le son du silence
Gérald Descamps nie le meurtre de Caroline Pirson, sourde-muette comme lui, en décembre 2016. La première journée d’audience a été consacrée à la personnalité de la victime.
LES FAITS
LE 30 DÉCEMBRE 2016, le corps sans vie de Caroline Pirson, 47 ans, est retrouvé dans son studio de
Saint-Quentin. Morte d’une hémorragie cérébrale, elle a subi une série
de coups.
DEPUIS CE JEUDI, Gérald Descamps, Saint-Quentinois de 50 ans, répond de meurtre devant la cour d’assises, à Laon. Il se dit innocent.
LE VERDICT est attendu mercredi prochain.
LA VICTIME ET L’ACCUSÉ s’étaient connus à l’adolescence dans une école réservée aux sourds-muets, à Arras.
Gérald Descamps.
Juger un homme, c’est entreprendre un voyage en terre inconnue. Rarement cette impression commune à tous les procès d’assises ne sera aussi palpable qu’à Laon, pendant les cinq jours du procès de Gérald Descamps. Qu’il soit sourd-muet, comme l’était la victime Caroline Pirson, n’est pas qu’une contrainte pour la juridiction. Certes – sans perdre de vue la sécurité sanitaire ! – il a fallu mobiliser quatre interprètes en langue des signes, et dégager des lignes de fuite afin que nul obstacle ne brise le trait fragile entre « les mains qui parlent » et les locuteurs. Car onze témoins sont eux-mêmes sourds et malentendants. Ils forment un groupe cohérent, formé dès l’adolescence en école spécialisée, qui ne s’est pas délité, dans lequel on s’est marié, a fait des enfants, s’est même parfois trompé.
L’intendance n’est pas tout. Parce qu’il faut comprendre avant de juger, les jurés devront s’immerger dans un monde étanche, avec ses us et coutumes, ses règles, sa solidarité mais aussi ses règlements de compte. On l’a constaté au long des auditions, dès le premier jour.
UN PORTRAIT EN NOIR ET BLANC
« Caroline Pirson s’était écartée du monde entendant à l’adolescence », constate l’enquêtrice de personnalité. « On a l’impression qu’elle avait deux vies bien distinctes, entre sa famille et sa vie personnelle », suggère la présidente Brancourt. « C’est ça », confirme l’enquêtrice. De fait, le cercle amical de Caroline – dont la maman est décédée à deux jours du procès – était exclusivement composé de personnes atteintes du même handicap qu’elle.
Tout semble binaire dans le portrait de cette femme, au fil des auditions : « passive » mais « violente », « naïve » mais « têtue ».
« UN TEMPÉRAMENT VOLAGE »
Chacun se retrouve sur le fait que sa vie sentimentale était « très compliquée » (son amie Corinne) ; « Elle avait un tempérament volage » (son neveu Julien) ; « Elle allait beaucoup trop vite avec les hommes » (Claire) ; « Elle était avec plusieurs hommes parfois » (Corinne) ; « Il y avait trop d’hommes ! » (Claire) ; « Elle avait besoin de se sentir aimée » (Dorinne).
Caroline et Gérald s’étaient connus à l’adolescence. Il a fini par reconnaître avoir été un de ses amants, après une longue série de versions fantaisistes qui expliquent en partie sa présence aux Assises. « Je suis innocent », a-t-il clamé à l’ouverture des débats.
Il a déjà purgé trois ans et dix mois de détention provisoire et silencieuse : « Autour de moi, ils sont tous entendants. Je suis tout seul… »
13/11/20
Meurtre de Caroline Pirson : Gérald Descamps, l’accusé par défaut
Aucune preuve formelle n’accuse Gérald Descamps du meurtre de Caroline Pirson, le 30 décembre 2016. Les jurés ont encore trois jours, jusqu’à mercredi, pour être convaincus par un faisceau de présomptions.
Caroline Pirson.
Si ce n’est lui, qui est-ce ? L’enquête sur le meurtre de Caroline Pirson s’est naturellement orientée vers le cercle sentimental (elle avait au moins trois amants réguliers fin 2016) et amical de cette femme de 47 ans, car l’absence d’effraction semble indiquer qu’elle a ouvert la porte en confiance à son bourreau.
Elle a ensuite été tuée, entre 19 heures le 30 et 5 heures le 31 décembre, de seize coups au visage et au crâne « d’un objet robuste », selon le légiste. « Il y avait du sang partout ; sur les murs, le sol, les vitres, le plafond », se souvient l’un des premiers policiers arrivés dans l’appartement du quartier Europe. Caroline était allongée dans la salle de bains, à moitié déshabillée, la tête couverte d’un sac-poubelle.
Désigné par la rumeur
Aussi vite – trop vite pour ses avocates – l’enquête s’est tournée vers Gérald Descamps, 50 ans. « Dans le milieu des sourds de Saint-Quentin, la rumeur le désignait », confirme le directeur d’enquête, un policier de la PJ d’Amiens. Il reconnaît même avoir placé Descamps en garde à vue parce que des projets de vengeance fleurissaient sur les réseaux sociaux. Le plus virulent des accusateurs a été auditionné jeudi soir. Grand moment ! Si Philippe N. voulait « enfoncer » Gérald, c’est raté, tant ses mensonges ont fini par lasser la cour.
Son ADN sur la carte bancaire
Une fois la rumeur purgée, il reste des présomptions mais aucune preuve formelle. L’arme n’a pas été retrouvée. Le sac, le téléphone et la carte bancaire de Caroline ont été volés. Seule la carte a été avalée par un distributeur, le 6 janvier. Entre-temps, elle a servi trois fois, dont une à 22h46 le soir du crime. Une caméra a immortalisé la scène, au distributeur de la rue Kennedy. Impossible de reconnaître l’homme à la capuche qui tire du liquide. Son scooter ressemble à celui de Descamps. Ils sont cinquante à en posséder un semblable à Saint-Quentin. Son téléphone a certes borné dans le secteur.
L’ADN de M. Descamps a été retrouvé sur la carte bancaire et son sperme sur une couverture. Là, c’est plus embêtant, d’autant que dans un premier temps, il a nié tout contact avec la victime, avant de se souvenir d’avoir touché par mégarde le mode de paiement, mi-décembre, puis d’avouer avoir couché avec elle le 28 décembre. «Il n’a pas cessé d’adapter ses réponses aux questions», témoigne le policier.
Sourds, pas muets
Alors que nous parlons depuis deux jours de « sourds-muets » pour désigner l’accusé et la victime, les quatre interprètes en langue des signes qui se relaient pour être la voix et la parole des témoins nous ont (gentiment) fait remarquer que le terme était impropre. « Les sourds ne sont pas muets. Leurs cordes vocales fonctionnent parfaitement. Simplement, certains choisissent de s’exprimer par signes », explique l’une d’elles, ajoutant que même un sourd profond de naissance peut apprendre à parler. C’est un long travail à mener avec un orthophoniste. Sourd et malentendant ne sont pas synonymes. Les malentendants perçoivent des résidus de son. Certains sourds profonds s’agacent d’être qualifiés de malentendants. Ils écrivent d’ailleurs Sourd avec une lettre capitale, pour signifier que cela fait partie de leur identité (comme Noir, Français, etc.)
16/11
Meurtre de Caroline Pirson : la faiblesse des témoignages à charge contre Gérald Descamps
À 48 heures du verdict, les jurés ne pourront pas compter sur des témoignages aussi accablants que peu fiables.
Des témoignages peu fiables, on en entend souvent en cour d’assises. La particularité du procès ouvert jeudi 12 novembre à Laon, c’est que toutes les auditions font assaut d’incohérence. Les témoins – en grande partie membres de la communauté des sourds et malentendants de Saint-Quentin – contredisent leurs dépositions devant les policiers pendant l’enquête sur la mort de Caroline. Si on leur en laisse le temps, ils infirment en fin d’interrogatoire ce qu’ils ont dit au début. Certes, nonobstant l’honnêteté des interprètes, le truchement de la langue des signes n’aide pas à dissiper le brouillard des rumeurs. Quand même…La présidente Ledru a fini par recadrer sévèrement Patrick, 52 ans, ce lundi 16 novembre au matin : « Est-ce que vous faites semblant de ne rien comprendre ou vous vous moquez de la cour ? Vous répondez par principe à côté de la plaque ! » Ce Patrick était l’un des nombreux amants de Caroline Pirson, l’un des plus réguliers, puisqu’il se rendait chez elle, depuis Lille, chaque vendredi… sauf le vendredi 30 décembre 2016. « Elle m’a envoyé un texto pour me dire adieu, je te quitte », se souvient-il.
« Très vite, dix minutes… »
Prenez Laurent, 58 ans (qui dans l’histoire a purgé pour rien 18 mois de détention provisoire) : « Avec Caro, on était amis, on bavardait… » entame-t-il. Trois questions plus loin, il admet qu’ils avaient des relations sexuelles « deux à trois fois par semaine ». Ce fut d’ailleurs encore le cas le matin du 30, « très vite, dix minutes, parce que je devais aller faire les courses du réveillon à Cora avec ma femme ».Pour ce qu’en voit la cour d’assises, le monde du silence, c’est un peu Les Feux de l’amour. On finit par s’y perdre entre les relations, les infidélités, les couples qui se font, se croisent et se défont. Laurent affirme que Caroline avait peur de Gérald. Puis il dit que Gérald l’a violée deux fois, en 1995 et 2016 ! « Vous ne chargez pas un peu la mule ? » suggère Me Jean.Bravo aux policiers qui, de ce fatras, ont su tirer des procès-verbaux impeccables ! Quand on gratte, on se rend compte que si tout le monde a orienté l’enquête vers Gérald Descamps, bien peu étayent aujourd’hui leurs accusations. Ce lundi, l’expert en ADN a apporté un élément autrement plus fiable : l’ADN de Gérald Descamps se trouvait bien sur la carte bancaire de Caroline avalée à la Caisse d’Épargne le 6 janvier, après trois retraits frauduleux. C’est un peu plus solide…
17/11/20
Meurtre de Caroline Pirson : les déclarations à géométrie variable de l’accusé
À la veille du verdict, Gérald Descamps a donné sa version de sa relation avec Caroline, dans les jours qui ont précédé sa mort, le 30 décembre 2016, rue Boileau, à Saint-Quentin. Pas toujours convaincant…
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Le quatrième jour du procès, le dernier avant plaidoiries, réquisitions et verdict, ne fut pas le plus favorable à Gérald Descamps. Les questions de la partie civile et du ministère public laissent entrevoir ce que sera la tactique de l’accusation, ce mercredi 18 novembre : dépeindre l’accusé en lapin des neiges, roux l’été, blanc l’hiver, qui s’adapte à son environnement dans le seul but de sauver sa peau. En face, Mes Jean et Beaurain devront prouver que ce procès est le fruit d’une instruction exclusivement à charge.
Un lapin des neiges ?
« J’ai connu Caroline à l’école des sourds d’Arras », entame Descamps, hier à 11 heures. Ils se perdent de vue jusqu’en 1995, date à laquelle ils ont « un ou deux rapports sexuels ». Puis plus rien jusqu’en « août ou septembre 2016 », quand elle l’invite à boire un café. Mi-novembre, il la croise en ville. Le 12 décembre, il la voit dans son quartier, elle lui propose encore un café. « En allant à la cuisine, elle a fait tomber son sac à main qui s’est répandu au sol. Je l’ai aidée à ramasser et j’ai pris sa carte bancaire parce qu’elle était différente de la mienne. Elle était en relief, avec des dessins, alors que moi, elle était lisse. »
Le 29 décembre, il trouve un mot de Caroline dans sa boîte aux lettres qui l’invite à venir chez elle. « Elle m’a dit qu’elle voulait quitter son petit ami. Elle m’a chauffé. On a fait l’amour en levrette, sans préservatif. J’ai fumé une cigarette. Elle voulait recommencer. Elle était comme un petit chien, j’ai vu le sperme couler sur son plaid. Moi j’ai dit non. » Le 30 décembre – jour où Caroline est tuée de seize coups d’un objet tranchant – il aurait passé l’essentiel de la journée au bistro à s’adonner à sa passion de jeux de hasard (raison de son placement sous curatelle). Un peu ivre, il se serait endormi à 18 h 30. Est-il ressorti le soir, à l’heure du crime ? « Je ne crois pas… Je ne sais plus… » Ce flou, qui succède à une orgie de détails, laisse songeur. Quitte à passer pour Machiavel, il aurait pu se bricoler un meilleur alibi…
Justifier la présence de l’ADN
Le problème de Descamps, c’est qu’il n’a pas conté cette histoire d’une traite dès sa garde à vue. Loin de là ! Les épisodes sont arrivés les uns après les autres, façon feuilleton. Le sperme sur le plaid, c’est la réponse à son ADN retrouvé sur la couverture. Le sac qui se renverse, c’est la justification de son empreinte génétique sur l’objet qui a servi à tirer du liquide à quatre reprises, après la mort de Caroline.
Même à l’audience, ça continue. L’avocate générale lui rappelle que son ADN était sur une cuillère. « Ah oui ! On a bu un café entre deux rapports sexuels », se souvient-il. « Mais vous venez de dire que vous ne l’avez fait qu’une fois ! » s’étrangle la magistrate. « Non, deux fois », affirme-t-il. « Quand dites-vous la vérité ? » se désespère Me Laurent, partie civile.
Ce mercredi soir, il n’en restera qu’une, et ce sera une vérité judiciaire.
18/11/20
Vingt ans de réclusion pour Gérald Descamps
La cour a reconnu le Saint-Quentinois coupable du meurtre de Caroline Pirson en décembre 2016. Un appel est plus que probable.
LES FAITS
Le 30 décembre 2016, Caroline Pirson, sourde de 48 ans, est retrouvée morte dans son studio de Saint-Quentin, rue Boileau. Elle a subi une série de 16 coups d’un objet coupant.
Mercredi 18 novembre 2020, Gérald Descamps, Saint-Quentinois de 50 ans, sourd lui aussi, a été condamné pour meurtre à 20 ans de réclusion criminelle.
Jusqu’au bout, il a clamé son innocence.
Après quatre heures de délibéré, les jurés de l’Aisne ont décidé, ce mercredi à 20 h 15, de maintenir Gérald Descamps en prison, lui qui y est enfermé depuis janvier 2017. L’accusé a fondu en larmes à l’énoncé du verdict.Ses derniers mots, traduits par u interprète en langue des signes, à 16 heures, avaient été à trois reprises : « Je suis innocent ».
Toute la journée s’étaient succédé plaidoiries et réquisitions. Le matin, Me Gilles Laurent, partie civile, rappelle que c’est le père de Caroline qui a découvert son corps ensanglanté. « Il ne s’en est jamais remis, pas plus que sa maman, décédée la semaine dernière. Depuis trois ans, la vie de cette famille est en sursis. » L’avocat prépare le terrain au ministère public : « Ce dossier est rigoureux, cette enquête est sérieuse ». Ce qui accable à ses yeux Gérald Descamps, c’est « qu’il s’adapte à chaque nouvel élément. Ses contradictions révèlent sa volonté de masquer la réalité ».« Il sait ce qu’il a fait »
L’avocate générale Marianne Beyssac, requérant 25 ans, promet aux jurés de « ne rien vous cacher, pas même les zones d’ombre du dossier. Car tout témoignage est subjectif. Vous n’aurez jamais un dossier clair et précis ». Selon elle, Descamps « n’a aucune explication rationnelle car il sait très bien ce qu’il a fait ». Elle donne sa vision du crime : « Un mobile passionnel, avec une annexe crapuleuse. Ils ont eu une relation sexuelle, voulue ou non, par choix ou par lassitude, mais Caroline était une femme libre. Elle avait plusieurs partenaires, ce n’est pas un crime ! Il l’a tuée parce qu’elle refusait une relation monogame. Comme l’occasion fait le larron, il a volé la carte bancaire pour assouvir son addiction au jeu ».Le doute et la rumeur
« Qu’est-ce qui amène à Gérald Descamps ? », interroge Me Marion Beaurain en défense. « La rumeur. On a tué des Juifs et des résistants, on a fait le procès d’Outreau sur la base de la rumeur… » Elle sait que les approximations de son client en procédure font mauvais genre, « mais demandez-moi ce que j’ai fait le 30 octobre et je serai bien incapable de vous répondre. On peut ne pas se souvenir, ça ne fait pas un coupable ».Sa consœur Caroline Jean veut « porter la voix de celui qui n’en a pas et qui, quand il est écouté, n’est pas entendu ». Le doute… Son heure de plaidoirie est consacrée au doute qui doit profiter à l’accusé. Dans chaque élément à charge, elle veut voir le détail qui le remet en cause. Elle souligne notamment que sur la carte bancaire de Caroline, mais aussi dans son appartement, des empreintes ADN inconnues ont été relevées. « Et si, habituée d’internet, elle avait noué une relation et ouvert la porte à un parfait inconnu ? » Elle liste aussi tous ces suspects que l’enquête a écartés. Mme Beyssac avait prévu l’argument : « M. Descamps est le seul à, à la fois, avoir de l’ADN sur le canapé, la carte, une cuillère dans l’évier, un scooter ressemblant devant le distributeur de billets (NDLR : où la carte de la morte a été utilisée), un téléphone qui borne à proximité de ce distributeur et pas d’alibi ». Vu comme ça, ça fait beaucoup…
Une peine impossible ?
L’avocate générale a requis une peine de 25 ans de réclusion qui, selon notre connaissance empirique du droit, ne pouvait simplement pas être prononcée par les jurés de l’Aisne. Le très vicieux article 362 du code de procédure pénale dispose en effet que « si le maximum de la peine encourue (NLR : 30 ans pour meurtre) n’a pas obtenu cette majorité (des deux-tiers), il ne peut être prononcé une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle ». Autrement dit, si ce n’est pas trente, ce sera vingt, mais surtout pas 25, 27 ou 22.
Deux avocats amiénois, Mes Combes et Fay, le savent bien. En avril 2019, leur client avait été condamné à 22 ans pour meurtre par les assises des Ardennes. La justice avait reconnu que la peine était illégale et le parquet avait interjeté un appel, toujours pendant. Ce mercredi soir, la cour a réglé la question en prononçant vingt ans de réclusion.
Antoine, 20 ans, ne s’est pas déplacé à l’audience. Il a évoqué des raisons médicales. « On est en droit d’en douter », s’amuse le procureur. Et pour cause… Antoine a un petit problème psychologique : il aurait voulu être docteur, ce monde le fascine. « J’ai besoin de paraître une personne importante, a-t-il confié aux gendarmes. Et puis, quand j’ai raté l’examen d’entrée chez les pompiers, j’ai été très frustré ». Il s’engage alors dans une association de secouristes. Il se trouve tout en bas de l’échelle du milieu des soignants. Ce n’est pas suffisant.
Dans son village du Ponthieu, fin 2019, une drôle d’idée germe alors dans le cerveau d’Antoine : aménager un bureau comme salle de consultation. Il y reçoit des braves gens du voisinage, se faisant passer pour un étudiant en troisième année de médecine ou, en intervention avec les secouristes, pour un médecin militaire du nom d’Obradovicth Antoine. Sur le dos, il porte une blouse blanche ; aux pieds, des crocs, ces sandales en plastique qu’affectionnent infirmières et aides-soignantes.
On pourrait craindre que ce stratagème n’ait pour but, justement, de jouer au docteur. Pas du tout ! aucun « patient » ne dénoncera de geste déplacé ; de même, Antoine ne demandera de rémunération à aucun.
Le jeune homme a hélas perdu son papa d’une longue maladie. Il reste donc plein de médicaments à la maison. Le Dr Ross du bocage picard « prescrit » donc des remèdes assez inoffensifs, comme du Smecta pour une diarrhée ou une crème anesthésiante afin de soulager une cheville. Faux docteur mais vraie éthique : « Il m’a conseillé d’aller voir un vrai médecin », indique un membre de sa patientèle. Dans le cabinet, on trouve des aiguilles et des seringues mais il ne s’en sert pas. « C’était pour le décor », avouera-t-il. Parfois, il emprunte la voiture de sa mère et sillonne la campagne, non sans avoir aimanté sur la carrosserie un gyrophare bleu et rouge. Là encore, pour faire plus vrai…
Antoine est condamné à trois mois de prison avec sursis. Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine…
“Non je ne l’ai pas tué ! » Grégory Fouquet a répété hier la position qui fut la sienne au terme de l’instruction relative à la mort de Jean-Paul Lignereux, 58 ans, en août 2017. Le verdict est attendu jeudi.
Au début de cette histoire, Grégory Fouquet est un héros : le 4 août 2017, vers 19 heures, de retour du travail, il a plongé dans l’Oise, à Margny-lès-Compiègne, afin de repêcher un noyé. Si le héros est devenu un accusé (de meurtre), c’est que la victime est morte le lendemain et surtout que toutes les constatations ont démenti le joli conte de Fouquet. Les deux fils et l’ex-femme de la victime attestent que les deux hommes leur ont rendu visite, à Clermont, en milieu d’après-midi. Grégory, agressif, a réclamé, en vain, qu’on lui rembourse une dette de 500 euros. Il a quitté les lieux sur cette menace : « On rentre à Compiègne, je te tabasse et je te fous dans l’Oise » . Or Lignereux est décédé non pas de noyade mais à cause d’une hémorragie crânienne. À cet égard, l’expertise du légiste, ce mercredi, s’annonce cruciale.
Grégory Fouquet a expliqué à la psychologue avoir donné une claque – « d’accord, une forte claque » – à son copain de galère parce qu’il l’avait traité de « bâtard ». « Il est resté par terre. J’ai voulu lui ramener une bière pour m’excuser mais j’avais oublié ma sacoche. Quand je suis revenu, il était dans l’eau. » Vu comme ça, il s’agit de coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner. C’est son dernier mot. Avant, il a beaucoup menti aux policiers mais se serait aussi vanté devant un compagnon de geôle : « J’ai tué un mec ».
La victime, SDF, était très affaiblie. L’éducatrice du SAMU social se souvient d’un homme « avec des problèmes médicaux lourds. Il souffrait d’incontinence, il avait d’énormes problèmes d’hygiène. Un jour il est arrivé maquillé en commando. Il disait qu’on était envahi par les Russes ».
DEUX HOMMES FRAGILES
Fouquet était sorti de prison depuis le mois d’avril, au terme de sa onzième condamnation. Son passé judiciaire est émaillé de violences, de menaces de mort et de trafic de stupéfiants. Son état psychologique lui permettait de toucher l’allocation adulte handicapé. La psychologue parle à son sujet « d’immaturité et d’égocentrisme ».
Il a toujours vécu chez ses parents, à Bienville. Le tableau dressé par l’enquêtrice de personnalité n’est pas tout noir : « Une voisine dit qu’il était très serviable. On le décrit même comme trop gentil, victime de profiteurs quand il avait touché son allocation ou sa paie ». L’accusé, un petit homme de 34 ans aux cheveux sombres, a toujours tenté de travailler, malgré son retard mental, entre deux séjours en prison. « Mais quand il avait bu, excusez l’expression, il était très chiant », résume un de ses copains.
04/11/20
La version idéale de Fouquet face à la réalité
Verdict ce vendredi, dans le procès de Grégory Fouquet, accusé du meurtre d’un SDF, en 2017.
LES FAITS
GRÉGORY FOUQUET, 34 ANS, de Bienville près de Compiègne, comparait pour le meurtre de Jean-Paul Lignereux, 58 ans, le 4 août 2017 à Margny.
À 19 HEURES, LA VICTIME AVAIT ÉTÉ SORTIE DES EAUX DE L’OISE par Fouquet lui-même, victime de noyade et surtout d’une hémorragie cérébrale liée à un coup violent au crâne.
FOUQUET NE RECONNAÎT QU’UNE CLAQUE. Le verdict est attendu ce vendredi soir.
À la fin de cette deuxième journée d’audience, Grégory Fouquet a retracé d’une voix monocorde la journée du 4 août 2017, ou plutôt SA journée. Il s’est soumis à l’exercice avec une précision enfantine, qui met sur le même plan les moments cruciaux et les détails futiles (« J’ai bu un deuxième café à huit heures moins le quart », « J’ai pris une photo d’un petit chien à la gare parce qu’il était rigolo »). C’est une chronologie à décharge : par hasard, il serait tombé sur Jean-Paul dès le matin ; par amitié, il se serait alcoolisé avec lui toute la journée ; par grandeur d’âme, il l’aurait accompagné à Clermont afin d’y récupérer son portefeuille aux objets trouvés ; par gentillesse, il aurait gravi la côte jusqu’à l’ancien domicile conjugal du SDF, afin de réclamer des vêtements propres ; par inadvertance, ils se seraient retrouvés au bord de l’Oise ; par rage, certes, il aurait mis à son compagnon hébété par le rosé et la bière une « grosse claque », mais c’était pour mieux s’excuser « gentiment » (cet adverbe revient en boucle dans son discours) et proposer une cannette de réconciliation : « Je l’ai laissé assis, il me parlait bien. Quand je suis revenu, il flottait dans l’eau. J’ai appelé du secours. J’ai plongé. Je suis secouriste ; si je ne le fais pas, je peux aller en prison ».
UN ACCUSÉ DÉCRIT COMME AGRESSIF
C’est bien gentil, mais ça coince. Les légistes n’ont pas trouvé une trace de claques, mais « de multiples plaies » sur le visage et le crâne de Jean-Paul. « Il a pu se cogner en sortant de l’eau », hasarde l’accusé. « Je l’ai hissé d’un coup, il n’a pas touché la rive » , contre un des autres sauveteurs.
Un SDF de Compiègne, Nounours, l’affirme : « Fouquet a forcé le pauvre homme à prendre le train. Il a donné l’ordre méchamment. L’autre avait peur » . Par leurs témoignages, les deux fils et l’ex-femme de la victime sont ses pires procureurs. Ils décrivent un Fouquet agressif, réclamant 500 euros, puis 50 euros, en remboursement d’une mystérieuse dette. On se demande pourquoi ils l’inventeraient, avec des mots si justes. « C’est faux , s’obstine Grégory. C’est Jean-Paul qui a demandé des sous à son fils. Pourquoi je l’aurais fait alors que le lendemain, je touchais 780 euros de Cotorep ? » Le pire, ce sont ces mots prononcés quatre heures avant le drame, devant les mêmes témoins : « Je vais te fracasser, je vais te tabasser et te jeter dans l’Oise ».
Les jurés auront le choix entre acquittement, coups mortels et homicide volontaire. Le juge d’instruction leur a évité la question de la préméditation. Il a dû se la poser…
05/11/20
Grégory Fouquet condamné à dix-sept ans pour meurtre
Les jurés ont retenu l’intention homicide ayant abouti à la mort de Jean-Paul Lignereux, en 2017, et légèrement revu à la baisse les réquisitions de l’avocat général.
Ont-ils âprement discuté de la qualification criminelle ou du quantum de peine ? Toujours est-il que juges et jurés ont passé trois heures et demie en salle des délibérations, ce jeudi 5 novembre, avant de déclarer Grégory Fouquet, 34 ans, de Bienville, coupable non seulement d’avoir causé la mort de Jean-Paul Lignereux, 58 ans, le 4 août 2017, mais aussi de l’avoir voulue. La peine encourue était de 30 ans. L’avocat général, Antoine Perrin, en avait requis 20.
La qualification de meurtre était la bonne à ses yeux. Il le démontre en s’attachant à la chronologie de la journée du 4 août 2017, « primordiale ». « Dès le matin, l’accusé est excité, il parle mal à Jean-Paul, il lui crie dessus » : l’argent serait à l’origine du périple des deux hommes, de Compiègne à Clermont en passant par Creil. « Or le casier judiciaire de M. Fouquet démontre qu’il est capable de violences, à hauteur de six jours d’ITT, pour recouvrer une simple dette de 100 euros » , souligne M. Perrin.
Il insiste sur les menaces prémonitoires de Fouquet chez l’ex-femme de Lignereux : « Tabasser, jeter dans l’Oise… Les verbes ne sont pas anodins. C’est exactement ce qui va se passer ». Pour le ministère public, c’est un « passage à tabac » qui a causé la mort, sur les bords de l’Oise, au pied du pont de Soissons. Pourquoi Grégory a-t-il sauté dans l’eau pour secourir Jean-Paul ? « Ce n’est pas un bon Samaritain ! Il a pris conscience des graves compétences pénales de son geste. Quand bien même, c’est un repentir tardif… »
QUEL MOBILE ?
Pour Me Mouna Taoufik, en défense, il manque deux jambes de force à l’accusation : le mobile et l’intentionnalité. Quelle raison avait Fouquet de tuer Jean-Paul ? L’argent ? Elle n’y croit pas en constatant que le fameux portefeuille de la victime n’a finalement pas été volé, pas davantage que sa montre en or, et que c’est même son client qui a retiré 10 euros le midi pour offrir à boire et à manger à la victime. Sur l’intention, elle sait que les menaces proférées devant la famille de Jean-Paul Lignereux pèsent lourd, mais elle ironise : « L’accusation vient d’inventer une impulsivité qui dure cinq heures ! Or M. Fouquet en est incapable. Experts comme proches décrivent un homme qui ne vit que dans l’instant ».
Matériellement, elle considère que la blessure mortelle, sur le dessus du crâne, ne résulte pas obligatoirement d’un coup porté. « Il est possible qu’il ait basculé doucement sur le muret. Le légiste ne l’a pas exclu ». Sa consœur Me Amélie Paulet, partie civile, objecte : « Sans les coups il n’y a pas d’hémorragie et sans hémorragie, il n’y a pas de décès ».
Le procureur d’Amiens en personne a pris l’audience des comparutions immédiates du vendredi, celles que l’on déteste parce qu’elles tombent au plus près du week-end et qu’invariablement, elles sont les plus chargées de la semaine. Il ne rechigne pas à requérir à ce que l’on nommait jadis le tribunal des flagrants délits. Ça change de son prédécesseur, que je n’avais croisé qu’une fois à l’audience – une pénurie avait dû frapper le parquet – et qui cherchait comme une âme en peine la salle où se tenait justice, tel un stagiaire fraîchement nommé.
Ça ne manque pas : il y a six dossiers au rôle ce jour-là, dont trois de violences conjugales (c’est la triste moyenne). À Assevillers, près de Péronne, Steven, 27 ans, baraqué sous son tee-shirt blanc, les yeux fixes, a frappé Cecilia, chez qui il squattait depuis un mois. Il l’a menacée : « Tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça. Je vais sortir un flingue et te buter ». Elle s’est réfugiée chez les voisins, d’autant plus terrorisée qu’il était resté dans le logement avec son petit garçon de trois ans (à qui il ne fera aucun mal).
Cecilia, une blonde menue enroulée dans un immense châle, ne demande pas de dommages et intérêts. Elle ne se constitue même pas partie civile. Elle n’est pas loin de s’excuser : « Il a pété un câble parce que j’avais repris contact avec mon ex mais je n’ai pas le choix, il faut bien que l’on parle de notre fils… » De Steven, elle affirme : « De base, il est gentil. Je ne veux pas qu’il aille en prison. C’est une dispute qui a mal tourné. J’ai vu pire… »
Le procureur n’y tient plus : « Dix jours qu’il refuse de partir de chez vous et il est gentil ? Il vous frappe, vous traite de salope et de sale pute, il est gentil ? Pendant un rapport sexuel après les violences, consenti ou pas, il vous mord et il est gentil ? »
« Il y a encore un chemin énorme à accomplir auprès des victimes, soupire Alexandre de Bosschère. Ce qu’il a fait, c’est honteux, minable, vous ne pouvez pas l’accepter. Il cherche à vous posséder. » Il réclame une incarcération immédiate ; le tribunal condamnera Steven Fouche à six mois ferme mais sans mandat de dépôt.
Le procureur pense peut-être à ces collages de belles âmes, l’an dernier, sur les murs du palais de justice : « Féminicide, État coupable, justice complice ». Ce n’est pas si simple. Ce n’est jamais simple…
Le prévenu est un habitant du quartier Saint-Maurice, à Amiens. Il a 59 ans et ne se souvient plus depuis quand il n’a pas travaillé. « 2011 », lui souffle son ex-femme, qui n’a pourtant pas envie de l’aider, « parce que ce qu’il a fait, ça me dégoûte. Il faut lui interdire de revoir ses gosses » .
Tout en parlant, elle tient fermement la main de sa fille de 14 ans, comme si elle craignait qu’elle ne s’envole. La petite tient bon. « Vous n’imaginez pas le courage qu’il lui a fallu pour venir aujourd’hui » , souligne Me Houria Zanovello.
L’avocate insiste pour lire in extenso la bouteille à la mer que l’adolescente a jetée le 20 avril dernier. Ou plutôt le post qu’elle a envoyé à une copine sur Messenger : « En fait tu vois quand mon père boit il propose de dormir avec nous et nous on dit oui et il me demande de se mettre à côté de moi et quand je dors il en profite pour mettre ma main dans son caleçon et il se branle avec ma main et une fois, il a touché ma schneck et je lui ai dit d’arrêter il a continué je lui ai redit d’arrêter et il a dit j’ai envie et moi j’ai dit j’ai pas envie et après il m’a dit ça fait longtemps que j’ai pas fait l’amour ».
Dans le prétoire, un ange passe. C’est un ange un peu amoché, les ailes râpées, l’auréole tordue…
Non, elle n’a pas pu inventer, elle n’a même pas imaginé que sa copine alerterait ses parents, qui sonneraient le tocsin.
Tout le monde la croit sauf son père, un gaillard ramolli par les boissons anisées. Il a avoué en procédure, « Je me suis branlé, voilà », mais à l’audience n’en est même plus si sûr, et ânonne « La main dans la culotte, c’est pas vrai, c’est pas possible ».
Son avocate Claire Gricourt prend pitié : « Je ne suis pas persuadée que tout ça soit très clair pour lui… » La petite se tasse sur son banc, regarde ailleurs, très loin. Le président avait pourtant prévenu le père : « C’est un rendez-vous très important pour elle. Réfléchissez bien à ce que vous allez dire… »
Me Zanovello tente encore de le secouer : « Vous savez que votre fille a décidé qu’elle aimait les filles et qu’elle ne voudrait jamais être avec un garçon ? Vous vous rendez compte qu’à 13 ans, vous ne lui avez même pas laissé le choix de son orientation sexuelle ? »
« C’est comme ça », commente-t-il. Il est condamné à dix-huit mois de prison dont neuf sous bracelet électronique. Il lui est fait interdiction d’entrer en contact avec sa fille.
Un bon article doit conter une histoire qui sort de l’ordinaire. Alors celui-ci sera un mauvais article, car la comparution de Laurent, pour des violences commises sur Claire, ressemble à ce point à tous les procès de violences conjugales que le grand Desproges parlerait volontiers d’une « banalité de nougat à Montélimar ».
Au mois de septembre 2019, en vingt jours, Laurent a envoyé 1046 textos à Claire. Ça fait beaucoup… Il comparaît pour ce harcèlement ainsi que pour des violences conjugales, commises le 9 du même mois de septembre, à Amiens. Ce soir-là, Laurent reproche à celle chez qui il s’est installé depuis sept mois d’avoir flirté avec deux autres garçons. Le ton monte, sur fond de « donne-moi ton téléphone, je te dirai avec qui tu fricotes ». Finalement, elle affirme qu’il la pousse contre le mur, l’étrangle puis lui assène un coup de tête, qui lui explose le nez (elle finira aux urgences avec un arrêt de travail de deux jours). Lui réfute le coup de boule : « Dans la bousculade, je lui ai mis un coup de coude ». Son avocat M e Daquo estime que « ce n’était pas volontaire ».
Aux policiers, Laurent a osé : « On en a parlé, elle s’excuse… Je suis trop gentil. Pour moi, je suis la victime ». La version de la jeune femme à la barre, dont la peur fait trembler toutes les rayures de sa marinière, diffère largement : « Je l’aimais mais j’étais sous emprise. Deux ou trois fois je l’ai mis à la porte mais je suis retombée dans le panneau. Quand il buvait et qu’il était violent, il me disait que c’était de ma faute. Ses messages, ça pouvait être le matin « je t’aime » et l’après-midi « t’es une grosse pute » . Il m’envoyait aussi des chansons de rap qui disent que les femmes sont toutes des salopes ».
L’homme a déjà été condamné une fois, pour… harcèlement sur son ex-compagne. « C’était pour la garde de ma fille, justifie-t-il. Elle m’a fait un enfant dans le dos puis elle m’a quitté alors que la petite n’avait que deux mois ». Il soupçonne d’ailleurs cette ex d’être de mèche avec Claire pour l’empêcher d’obtenir un droit de garde. Le psychologue a vu en lui « un narcissique, qui veut prendre le contrôle de l’autre, qui banalise la violence » et conclu à sa « dangerosité ». La procureure insiste : « Non, il n’est pas victime d’un complot ! Non, ce dossier n’est pas vide ! »
Laurent, 36 ans, est condamné à dix mois dont cinq ferme sous bracelet électronique.
Hirson – Condamné en 2019 par la cour d’assises de l’Aisne à 22 ans de réclusion pour le meurtre prémédité de sa femme Clarisse, 28 ans, Marcel Lesur a fait appel. Le verdict est attendu ce jeudi soir.
Marcel Lesur et Clarisse.
En novembre 2016, le petit monde régenté par ce maçon au chômage, habitant de Guise, se lézarde de partout. Les trois plus jeunes de ses 12 enfants ont été placés en juillet pour de graves carences éducatives. Clarisse, sa femme, de 23 ans sa cadette, décrite comme fragile psychologiquement, a rejoint un foyer en août pour garder le contact avec ses enfants. « Au début, elle ne comprenait pas la mesure, elle répétait tout ce que monsieur disait. Puis on l’a vue se métamorphoser », se souvient une éducatrice. En ce mois de novembre, elle a pris sa décision : elle va divorcer.
SEPT COUPS DE COUTEAU DONT UN AU CŒUR
À 9 heures le 25 novembre, elle vient de déposer sa petite à la crèche d’Hirson. Elle remonte dans l’utilitaire du foyer quand Marcel bloque la porte. « Il lui a dit deux fois Pourquoi tu me quittes , se souvient l’éducatrice au volant. Je lui ai dit Monsieur, partez, vous n’avez rien à faire là . Il a sorti un sac-poubelle noir et il a fait des grands gestes. Il m’a fixé avec des yeux de fou. Je me suis sauvée ». « Votre phrase n’était-elle pas un peu violente ? » : Me Sylvie Racle, avocate de la défense, suscite les « oh » et les « ah » des parties civiles. Jusqu’à la présidente Brancourt qui lui demande de ne pas « malmener » le témoin.
Car dans le sac se trouvait un couteau de 28 cm, que Marcel Lesur a enfoncé sept fois sous la peau de sa frêle épouse (1 mètre 56 pour 37 kilos). L’un des coups a transpercé le cœur. La veille, le mari avait cherché sur internet « Où se trouve le cœur », « Corps humain femme », « Côtes les plus fragiles ». On a vu des préméditations plus subtiles…
« Il a interprété le placement de ses enfants comme une privation , analyse le psychiatre, qui a diagnostiqué une altération du discernement. Il s’est mis en tête que Clarisse couchait avec le directeur du centre maternel. S’il fallait la tuer pour la garder, alors il la tuerait. » La toute-puissance : c’était la marque de Marcel, qui s’est vanté pendant l’enquête d’avoir couché avec 1 200 femmes. Car c’est au lit qu’il exerçait son pouvoir.
Ses deux premières femmes ont indiqué avoir été obligées de pratiquer l’échangisme sous ses ordres, à la maison ou en club, et avoir pris des coups quand elles ont refusé de coucher avec ses copains contre de l’argent. Aux deux, il a proposé des rapports sexuels avec un chien. L’une s’est soumise. Son propre frère, handicapé mental, a témoigné que Lesur les avait obligés, Clarisse et lui, à faire l’amour. « Sinon il lui cassait les pattes et il me renvoyait à l’hôpital, qu’il a dit. »
Vu le tableau, 22 ans de réclusion semblent un moindre mal. Alors pourquoi interjeter appel ? « J’aimerais juste savoir comment ça a pu se produire » , a déclaré Marcel Lesur au début de son procès.
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Vingt-cinq ans requis contre Lesur
L’appel est un jeu dangereux… En 2019, à Laon, le ministère public avait requis vingt ans pour l’assassinat de Clarisse, 28 ans, à coups de couteau devant la crèche d’Hirson en 2016. Les jurés avaient trouvé le quantum si raisonnable qu’ils avaient alourdi la barque, condamnant Marcel Lesur, 55 ans, à vingt-deux ans de prison. Le mari meurtrier a contesté cette peine devant la cour d’appel d’Amiens. Or hier jeudi soir, l’avocat général a réclamé vingt-cinq ans.
Hugues Weremme a retracé les « parcours parallèles » des trois femmes de Lesur, toutes trois soumises à l’échangisme, à la prostitution et à la zoophilie. « C’est un chasseur de femmes, un pervers sexuel. La femme est sa chose, un instrument au service de son plaisir », appuie Me Vignon, partie civile. Jusqu’à Clarisse, jeune femme fragile, mais qui se dégage enfin de son emprise dans le foyer maternel qu’elle rejoint en août 2016. Elle parle de le quitter : « Les portes de l’enfer s’entrebâillent mais pour lui, c’est insupportable. Il faut la détruire. Ce qui se passe à Hirson, c’est une exécution ! »
« Non, une pulsion de panique ! » rétorque Me Racle en défense. Pour elle, il n’y a pas préméditation, mais altération du discernement, tant Lesur était miné par « un délire paranoïaque ». Et des « circonstances atténuantes » à chercher dans un passé « d’enfant battu au quotidien, à coups de fouet ou de baïonnette, poussé à 15 ans dans les bras d’une femme de 34 ans qui l’a initié aux partouzes ».
Le verdict était attendu tard dans la nuit.
15/10 (2)
25 ANS POUR MARCEL LESUR EN APPEL
Bébé Emilie
Le verdict est tombé à 23 heures jeudi, devant la cour d’assises de la Somme : Marcel Lesur, maçon au chômage de Guise (Aisne), a été condamné à 25 ans de réclusion pour le meurtre de sa femme Clarisse, le 25 novembre 2016. Devant la cour, les deux premières épouses de Lesur ont confirmé ses déviances : échangisme et prostitution forcés, ainsi que zoophilie. En 2019, à Laon, Marcel Lesur avait été condamné à 22 ans. Exercice aléatoire que celui de l’appel… À Amiens, l’avocat général Werreme a réclamé 25 ans et il a été suivi à la lettre par les jurés. La peine est assortie d’une période de sûreté des deux tiers. Par ailleurs, Marcel Lesur est déchu de son autorité parentale sur les trois plus jeunes de ses douze enfants (ceux qu’il avait eus avec Clarisse).