Le cas Alan Turing, histoire extraordinaire et tragique d’un génie, Arnaud Delagrange (scénario), Eric Liberge (dessin). Editions Les Arènes BD, 80 pages, 18 euros.
Le “cas” Alan Turing est un peu plus connu, depuis la sortie l’an passé du biopic qui lui était consacré et plus particulièrement à la manière dont il avait percé durant la guerre le secret d’Enigma, machine à crypter de l’Allemagne nazie. Central dans la révélation des capacités de ce “génie” malheureux, l’épisode est aussi largement développé dans ce bel album. Mais celui-ci choisit de dérouler la vie d’Alan Turing (ce “rêveur lunaire” déjà évoqué cette année par Edmond Baudoin et Cédric Vilani) comme un grand flash-back, à partir de la nuit du 7 juin 1954, lorsque le mathématicien a mis fin à ses jours.
Tandis qu’il se repasse, en souvenirs, toute sa vie, on retrouve l’enfant rêveur, l’étudiant réservé et bègue, manifestant déjà des capacités de réflexion hors du commun, coureur de fond (de niveau olympique) et étudiant solitaire à Cambridge, débauché par les services secrets britanniques pour son équipe secrète de “combat mathématiques”, reclus dans la base secrète de Bletchley Park où il déchiffrera les codes d’Enigma. Mais celui qui aurait pu figurer parmi les grands vainqueurs d’Hitler se voit condamné en 1952 pour son homosexualité à un traitement hormonal dégradant qui le poussera au suicide…
Héros méconnu de la Deuxième Guerre mondiale, pionnier de l’intelligence artificielle, Alan Turing est restitué ici d’une façon magistrale. La narration parvient à imbriquer subtilement le récit historique et la dimension psychologique du personnage, en en faisant un héros tragique et émouvant. Et Eric Liberge (l’auteur notamment de la série Monsieur Mardi-Gras-des-Cendres), réalise un travail graphique vraiment superbe, livrant des planches magnifiques, portées par un trait réaliste et sombre qui parvient même, à l’aide d’images métaphoriques très évocatrices, à rendre lumineuses les plus complexes équations mathématiques ou à un restituer en une seule image forte, la déflagration intime qu’a été pour Turing sa condamnation de 1952.
A noter que cet album participe aussi de la naissance “officielle” des Arènes BD, secteur bande dessinées, sous l’égide de Laurent Muller (ex cofondateur des éditions 12 Bis) des éditions des Arènes (qui avaient déjà publié ponctuellement des ouvrages graphiques comme La Pieuvre, sur la mafia italienne ou le recueil de récits en images publiés dans la revue XXI). Et avec Le cas Alan Turing, c’est un beau coup d’envoi.







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