Les Spectateurs, Victor Hussenot. Editions Gallimard, 96 pages, 18 euros.
Dans une grande ville comme Paris, l’Homme revêt le costume d’Untel ou d’Unetelle. Vu d’en haut, qui pourra s’en émouvoir ou même s’en préoccuper ? Le métro, que certains ont beau prendre chaque jour à la même heure, peu ou prou, est rempli d’anonymes. D’êtres auxquels ont n’adresse pas la parole, que l’on fait mine d’ignorer. Pourtant, tous les voyageurs ont beaucoup de points communs. Ne serait-ce que par le partage de la mémoire collective. De même, combien, étant enfants, ont frémis à la lecture de Tintin ou de Spirou ?
Certains citadins aiment à observer les ombres dans la nuit. Des ombres anonymes dont nous faisons partie. Ne sommes nous pas aussi interchangeables et insignifiants que des pièces d’euro ? Pourquoi serions-nous indispensables et singuliers ? Si nous sortons du cercle familial et amical qui peut se targuer de ne pas être un anonyme parmi tant d’autres?
Il y a des livres dont on sait dès le début de la première lecture qu’ils resteront auprès de nous toute notre vie. De temps à autres, nous le ressortiront, que ce soit pour un simple coup d’oeil songeur ou pour une relecture complète. Les Spectateurs de Victor Hussenot est de ceux-là pour moi.
Gros coup de coeur pour cet ouvrage singulier dans lequel l’auteur nous invite à réfléchir à nos existences citadines, notre impact individuellement sur le monde, la trilogie passé-futur-présent. Il nous convie à observer les ombres anonymes dont nous faisons partie. Une narration et une réflexion pour lesquelles l’aquarelle convient particulièrement. En effet cette peinture à l’eau a quelque chose de magique lorsqu’elle est finement utilisée. Lors de la réalisation et même une fois sèche, elle a sa propre vie. A la manier, on apprend, au bout d’efforts et de persistance, à l’apprivoiser mais elle garde toujours une part de liberté. C’est à partir de là qu’elle prend vie et danse sur les pages, donnant également l’impression de dissimuler mille mystères. La fragilité vacillante et délicate de l’aquarelle est propice à l’évasion. Et le travail de Victor Hussenot est d’autant plus léger qu’on ne décèle aucun trait de crayon. La couleur n’est donc enfermée dans aucun carcan.
L’aquarelle est donc idéale pour cet ouvrage tendant à faire réfléchir le lecteur sur le sens de nos existences urbaines. L’humain tend à se détacher de sa condition animale et prétend être supérieur. Mais vu d’en haut, lorsque l’on prend de la hauteur, une ville n’est-elle pas similaire à une fourmilière grouillante d’anonymes? D’individus interchangeables? D’ailleurs ne dit-on pas nos semblables pour parler des autres humains?
Victor Hussenot sème ainsi des petites pistes de réflexion, incite à prendre de la hauteur. Bien sûr, il ne se vante pas d’avoir les clés du savoir ni de donner de réponses aux questionnements posés. A chacun ensuite de s’interroger, d’observer, de changer de point de vue, encore et encore. Même si à la fin, nous ne saurons toujours pas ce que nous faisons sur terre. Mais il est important de réfléchir à quelle est notre place dans une ville, un pays et même l’univers.
Par ailleurs, Victor Hussenot propose sur son site de découvrir son travail, notamment sur cette oeuvre.






