Le sentier des reines, Anthony Pastor. Editions Casterman, 128 pages, 20 euros.
1920, au sortir de la Première Guerre mondiale. Deux veuves de générations différentes quittent discrètement leur village. Leurs hommes avaient survécu à la grande boucherie. Mais, colporteurs, ils viennent d’être emportés par une avalanche. Alors Blanca et sa belle-fille, Pauline, vont prendre la suite de leurs maris. Emmenant avec elles un jeune orphelin, Florentin, dont la famille a elle aussi été décimée par la coulée de neige.
Leur errance difficile, tentant de vendre de la mercerie de villages en villages, va être perturbé par l’arrivée d’un ancien poilu, ivrogne et inquiétant. Arpin se targue d’avoir été l’ami du mari de Blanca et leur révèle que ce dernier avait dépouillé le cadavre de leur capitaine de sa montre en or. De quoi leur assurer un certain avenir s’ils la vendent à un bijoutier d’Annecy. Mais, finalement, Blanca décide, pour blanchir l’honneur familial, d’aller rendre la montre à l’autre veuve. En Normandie. C’est le début d’un autre long périple…
Entre road-trip à travers la France et peinture du pays dans l’immédiat après Première Guerre mondiale, cet album d’Anthony Pastor (dont je ne connaissais pas le travail antérieur hormis quelques histoires courtes dans la revue Aaarg) est une vraie découverte.
Bien documenté (comme il l’explique dans un petit dossier en fin d’ouvrage), s’inspirant de cartes postales d’époque, il restitue avec force et crédibilité le portrait de la société de l’époque. La dureté d’un monde traditionnel, meurtri par le conflit et une société très rigide où les femmes peinent à exister hors du moule familial, ses métiers disparus qui assuraient le quotidien, des colporteurs des montages savoyardes aux mariniers dirigeant le flottage de bois sur l’Yonne.
Le dessin très hachuré, aux couleurs froides et au rendu sepia participe de cette immersion au début du siècle dernier (et ce style, qui pose les contours du récit, se sublime dans les dessins de montagne du début de l’ouvrage).
Pastor campe également très bien ses personnages : Blanca, femme forte en voie d’émancipation, Pauline et Florentin, qui représentent la génération future et même Félix Arpin, qui voit son portrait misérable tempéré par les horreurs qu’il a vécu dans les tranchées.
Et puis ce livre arrive à nous embarquer dans ses directions successives. Semblant suivre les traces de la Trace, le film avec Gérard Lanvin sur la vie des colporteurs savoyards entre France et Italie, ce Sentier des reines bifurque vers un voyage au long cours et une traversée de l’Hexagone, des Alpes à la Normandie, dramatisée par la présence angoissante d’Arpin mais demeurant toujours très réaliste.
Un Sentier à suivre, incontestablement !






