Muertos, Pierre Place. Editions Glénat, 150 pages, 23,50 euros.
Découvert avec jubilation avec ses “Zapatistas” dans la défunte revue culte Aaarg ! puis en album (apparemment lui aussi indisponible), Pierre Place était réapparu sur le macadam banlieusard plus contemporain avec son complice Pierrick Starsky (désormais directeur de collection chez Glénat).
Il fait de nouveau revivre ici le Mexique du début du XXe siècle. Avec cette fois en lieu et place des révolutionnaires de Zapata et Pancho Villa une armée de calaveras, mort-vivants écorchés du folklore mexicain qui s’en prennent brusquement à une hacienda.
Le bel ordonnancement des classes sociales, entre les bourgeois, leurs contremaîtres et leurs serviteurs va vite être bousculé. Les survivants du premier assaut se réfugient dans un hangar, parviennent tant bien que mal à s’entasser sur une voiture, un camion et quelques chevaux et à s’enfuir. Mais c’est le début d’une longue poursuite où les caractères de chacun vont se révéler – de la jeune fille de maison aux idées progressistes, Luz, jusqu’au macho et inquiétant Pancho, en passant par le falot père de Luz ou d’Emiliano, le poète amoureux de cette dernière… Et pas forcément toujours en bien.
Cent cinquante pages d’un western latino mixé avec la Nuit des morts-vivants de George Romero qui se lisent d’une traite ! Pierre Place insuffle en effet à son récit un rythme effréné, en fait une cavalcade haletante et séduit par son dessin, réaliste et détaillé, mais aussi très expressionniste, avec son traitement en un noir et blanc lumineux qui faisait déjà l’attrait de Zapatistas.
Et derrière le récit de pure aventure, ponctué d’un nombre de morts assez hallucinant, c’est aussi un bel exercice de critique sociale qu’il esquisse. Jamais pontifiant ou dogmatique, mais subtilement instillé à travers les rapports qu’entretiennent, même au au coeur de l’enfer, les maîtres et leurs serviteurs. Quant aux calaveras, si leur surgissement et le déferlement de violence qu’ils provoquent apparaît incompréhensible – et le restera longtemps – il s’inscrit bien dans une forme de révolte sociale et comme la revanche des péones et des indiens exploités dans les haciendas. Une sombre vengeance radicale. A ce titre, Muertos s’inscrit d’ailleurs dans la tradition de Romero et de ses zombies, reflet de la contestation de la société en place.
Bref, un jour des Muertos-vivants jubilatoire et jouissif à souhait, à prendre avec le sourire qui s’affiche dans la (superbe) couverture.