
Le jardinier confiné, parfois, tourne en rond chez lui. Alors, pour se détendre, il fait un tour dans son jardin. Il observe. Là, un couple de tourterelles vient de se poser sur les banches hautes du cerisier de Tio Guy. Elles sont belles, douces et fières car amoureuses; ça se voit à l’œil nu. Ils (désolé, féministes exacerbées, il y a un mâle et une femelle; en matière grammaticale, le mâle l’emporte) sont épris l’un de l’autre; ils se donnent des petits coups de becs ce qui, sans aucun doute, dans la gestuelle tourterellière, est des baisers.
Menton en galoche
Le confiné se souvient que dans une autre vie (il était encore pacsé avec la chanteuse-comédienne Lou-Mary), leur chat Bébert – ainsi prénommé en hommage à Céline – avait, un matin de printemps, capturé et assassiné une tourterelle qu’il leur avait ramenée sur le paillasson. Sacré Bébert! Il n’en loupait pas une. Non seulement, c’était un grand chasseur, mais aussi une sorte d’humoriste. Toujours à faire des bêtises, à surprendre, notamment celui qu’on appelait son frère: le chien westie Athos qui, il y a deux mois, a rejoint le Paradis canin. Le confiné se demande si les présentes tourterelles sont des descendantes de celle assassinée par les œuvres dégradantes de Bébert. Le jardinier effectue une dizaine de mètres et se plante devant le buis. «Il faudrait que je le taille», se dit-il. Il observe les feuilles, manières de petites oreilles de filles, vert olive foncé sur le dessus, vert jaune sur le dessous. (C’est idiot ce que je viens d’écrire: avez-vous déjà vu des filles avec des oreilles vertes? Moi, pas.) Il s’approche, flaire l’arbuste, ferme les yeux. Il se téléporte à l’intérieur de la fraîche église de Sept-Saulx (Marne). Milieu des années 1960. Le vieux prêtre (il en restait encore) exhibe son menton en galoche à la faveur d’une homélie pleine de reproches. Guy – le Pêcheur de nuages–, le cousin du confiné, est enfant de chœur. Il se munit d’une branche de buis, effectue un signe de croix. Qu’est-ce qu’il bénit au juste? Une relique? Un cercueil’? Un cercueil certainement. Pour le confiné, le buis demeure synonyme des enterrements d’antan. Ils étaient si nombreux. Pour faire diversion et ne point s’en remettre tout à fait buis, pour ne point abdiquer, il cherche du regard le couple de tourterelles. Il repense à Bébert l’assassin. La mort est partout.
PHILIPPE LACOCHE







