Ce fichu coronavirus et son confinement nécessaire commencent à me rendre cinglé. L’autre jour, je m’apprêtais à envoyer une lettre contenant une très belle nouvelle de sa plume – texte que j’avais annoté – à mon copain Patrick Poitevin. Je vérifie l’adresse, sors de mon porte-monnaie le carnet de jolis timbres au tarif lettre verte proposé par La Poste. Sur le point d’en décoller un, je sursaute: un tatou! Le tatou, on n’est pas loin du pangolin. Et qui dit pangolin, dit coronavirus. Mon geste s’arrête au ralenti comme dans un film d’action. Je chausse mes lunettes de presbyte, observe la bestiole. «Oui, ça ressemble au pangolin», me dis-je. Et, allez savoir pourquoi, je n’ai pas voulu coller le timbre tatou sur la lettre destinée à Patrick. «Ça va lui porter la poisse…» ruminai-je encore. Puis, me reprenant: «Ce virus me rend encore un peu plus crétin que je ne le suis déjà. En tout cas, je deviens superstitieux…» Pourtant, superstitieux, je ne l’ai jamais été. Il m’arrivait, plus jeune, de prendre un malin plaisir à passer sous les échelles, jusqu’à ce qu’un peintre, amusé, ne prît, lui aussi, un malin plaisir à me balancer quelques gouttes de peinture sur la tête. Depuis, j’avoue que je garde mes puériles provocations pour moi, et je m’abstiens. Quant aux animaux, je les aime de plus en plus. Même les chiens envers lesquels je n’ai jamais eu d’affection particulière (leur côté discipliné, obéissant, dévouée à leur maître comme à un führer, leur façon tonitruante de défendre une propriété). Avec l’âge, je m’y suis fait. En cela, mon ex-pacsée, cette grande didiche de Lou-Mary, a joué un rôle important. Elle a toujours adoré les chiens et en a toujours eu. Souvent des Westies. J’ai connu Scott, au début de notre idylle, puis le bon gros Athos, un peu plus tard. Je sais qu’elle vient d’en adopter un autre, tout jeune et tout mignon après que le pauvre Athos fut décédé. Les chats? Je les vénère. J’aime aussi, dans le désordre, les chevaux, les ânes, les fourmis, les corbeaux, les vers de terre, les souris, les sansonnets, les pies, les tanches, les brochets, etc. Mais là, avec le tatou et le pangolin, j’ai du mal. Est-ce l’effet coronavirus? Je leur trouve une sale gueule. Ce museau en forme de bûche; cette couleur de bois humide; ce corps écailleux… Je ne me vois pas du tout, mais pas du tout, faire un câlin à de telles bestioles. Pourtant, il m’en est arrivé de belles avec les animaux pendant ma longue vie de presque vieux. Au cours d’une de mes périodes d’insondable solitude, je suis parvenu à apprivoiser une mouche que j’avais surnommée Bernadette. Elle se posait délicatement sur ma main, puis sur ma nourriture; je la laissais faire. J’appréciais son contact; ses petites pattes gracieuses et nerveuses. Et puis, un jour, Bernadette m’a quitté. Dire que j’en ai fait une dépression serait mentir; cependant, je dois reconnaître, qu’elle m’a manqué, la garce. Il y a peu, je vous racontais ici même, que j’étais presque parvenu à nouer une relation d’amitié avec un faucheux qui avait élu domicile dans mes toilettes. En matière de bestiole, je n’ai donc plus rien à prouver. Mais un pangolin ou un tatou, non. Enfin, je dis ça… Peut-être qu’après le confinement, vous me verrez en promener un en laisse dans les rues d’Amiens.
Dimanche 5 avril 2020.






