
Certaines rencontres génèrent des regrets. J’étais au Salon du livre de Noël de Saint-Quentin auquel la délicieuse et blonde Cécile et le sympathique Louis m’avaient invité avec chaleur. Je m’installais à ma table de dédicace, saluais mes consœurs et confrères.




Quelques têtes connues (Ella Ballaert, Denis Jaillon, Yves Courraud) ; quelques retrouvailles émouvantes (mon confrère et ami Yves-Marie Lucot, ancien collaborateur du Courrier picard, que je n’avais pas vu depuis des années ; il venait présenter son livre L’Aisne en images qui a écrit en compagnie de Céline et Jean-Marie Lecomte aux éditions Noires Terres). Puis, je m’adonnais, contraint par ma quasi-solitude, à faire ce que je fais de mieux dans la vie : rêvasser. Soudain, je me levai et, tel le Christ marchant sur la mer pour se rendre à Capernaüm, je m’élançai dans les allées afin de rafraîchir le trombinoscope photo des écrivains de la base numérique de mon cher Courrier picard. Ainsi, j’en fis poser quelques-uns, et finis par me retrouver face à l’écrivain Hortense Dufour qui j’avais un peu lu et dont je connaissais l’excellente réputation littéraire. Nous nous mîmes à discuter, évoquâmes quelques grands fous ou réactionnaires – ou les deux : Jacques Chardonne (le romancier préféré du grand homme politique de droite douce qui exécuta le Parti communiste français de trois balles dans la nuque : François Mitterrand), Céline (j’irritai Hortense quand je lui dis que je le considérais comme un immense écrivain mais résolument comme un sale type) et de quelques autres.

Ce fut sur le retour, sur l’autoroute, dans la nuit noire, épaisse et grasse comme du pétrole, que des regrets m’assaillirent : j’avais oublié de demander à Hortense Dufour si elle avait connu Kléber Haedens (chère Hortense, si vous lisez cette chronique, répondez-moi : Philippe Lacoche, Courrier picard, 5, port d’Aval, 80000 Amiens). Je pense que oui. Comment pourrait-il en être autrement ? Elle est née à Marennes, en Charente-Maritime ; un Prix Hortense Dufour a même été créé en 2010, par le Lions Club de Marennes-Oléron. Oléron où Kléber vécut longtemps et où il inscrivit l’histoire de son sublime et ultime roman Adios, rédigé après le décès de l’amour de sa vie : Caroline. Le livre se termine par cette phrase poignante : « Maintenant, j’avais les yeux gris. » Dans la nuit noire du Santerre, je me trouvais niais. C’est terrible un regret. Ça vous mine. Un autre m’a sauté à l’esprit. En août 1975, j’étais en vacance en Grèce, sur l’île de Syros (la bien nommée : nous y buvions comme des trous, mon copain Gaëtan et moi). J’avais fait la connaissance d’une adorable petite Londonienne. Sa beauté me paralysait. Un soir, elle m’invita à nous éloigner vers quelques pinèdes incertaines. Son intention était claire ; je l’avais devinée mais ne pouvais agir, tétanisé devant tant de beauté. Aujourd’hui que j’ai les yeux gris, je me dis que je le regretterai toute ma vie. Dimanche 9 décembre 2018.






