Dans ma grosse tête de Ternois des sixties, tout est prétexte à rêverie. Par un beau dimanche d’automne ensoleillé comme une jeune fille de mai, je baguenaudais sur la quatrième fête du musée des hortillonnages, à Rivery, en compagnie de la Marquise. Le matin même, sur les ondes de France Inter, ma chère radio nationale, j’avais entendu un homme parler si bien du poiré («Ce crémant de poire», disait-il en salivant) que je me mis en tête d’en chercher en ces lieux. Je n’en trouvais point. En revanche, je me régalais de succulents fromages de chèvres, de délicats petits saucissons de bœuf et de mouton. Nous déjeunâmes de charcuteries bios (museau, lard, jambon) qui relevaient du divin. (Il eût été n

écessaire d’entreprendre des recherches sérieuses, de retrouver les porcs qui, titulaires d’une manière de hauteur d’esprit, avaient fait don de leurs corps à la science de la gastronomie charcutière, et de les décorer à titre posthume.) La marquise dégota, à l’ombre, une charmante petite table métallique et rétro. Nous nous installâmes; pour lui faire plaisir, je me rendis, lunettes noires de vieux rocker décati sur le nez, jusqu’à la buvette, et revins avec deux grands verres d’un côtes-de-blaye aussi blond que les cheveux de la regrettée Anita Pallenberg. J’aime la vie quand elle le prend comme ça. Toute en légèreté, en douceur automnale, en cochonnailles moelleuses. René Nowak, le créateur du lieu magnifique, nous invita à visiter le musée. Passionnant. Soudain, je restai planté devant des motoculteurs anciens. J’étais tétanisé. Je fermai les yeux. Le ronronnement d’un moteur, au loin. Un jardin potager au bout des pelouses, en face du château de Sept-Saulx, entre Reims et Châlons-sur-Marne (et non pas Châlons-en-Champagne, ce nom «moderne» qui tourne le dos à la rivière pour embrasser une région qui lui doit tant! La modernité est une ingrate, une garce) où mon grand-père exerce la profession de jardinier. C’est l’été. Je suis en vacances. Chaleur torride. Année 1966 ou 1967. Un peu plus loin, les tondeuses poursuivies par leurs bonnes odeurs d’essence et d’herbe coupée. Mon cousin Guy, le pêcheur de nuages, m’entraîne vers la Vesle, la plus française et la plus gauloise des rivières de France. Des vandoises et des chevesnes nous y attendent. Au bord de l’eau, nous fumons nos premières baltos et gauloises jaunes, goût Maryland. Nous pensons à Nelly et Sylvie Girardot, jeunes filles du village dont nous sommes amoureux. Mes vacances au château de Sept-Saulx ont la douceur de la pierre tiède et crayeuse des maisons; elles sont rassurantes comme la lecture du Pèlerin qu’une dame pieuse vient apporter chaque semaine à ma grand-mère. Je rêvais, je rêvais; tout est prétexte à rêverie. La Marquise m’invita à trinquer. Nos verres tintinnabulèrent. Retour au passé simple et à l’imparfait. Le présent d’hier, déjà, se fanait comme les fleurs en automne, même sous le soleil de Rivery. Notre enfance devrait toujours se conjuguer au présent.
Dimanche 22 octobre 2017.







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