
Retour de vacances. J’ai l’impression de t’avoir quittée il y a des années, lectrice adulée. Mais non. Le temps est relatif, comme dans un roman de Patrick Modiano ou dans un rêve d’Albert Einstein. Qu’ai-je fait au cours de ces vacances? Peu de choses et beaucoup. Encore cette manière de relativité. Je me souviens d’un dimanche d’août très ensoleillé au cours duquel je me suis rendu au prieuré d’Airaines pour y découvrir l’exposition Chagall et la Bible (jusqu’au dimanche 30 septembre). Cent cinq planches gravées à l’eau-forte permettent d’admirer son travail de graveur, un métier qu’il a découvert en Allemagne en 1921, à son départ définitif de Russie. Magnifique. Magnifique comme le lieu. Un lieu de paix, de spiritualité intense. J’ai longuement discuté avec un homme très croyant; cela m’a fait du bien, moi agnostique caressé (ou rongé, selon les moments de la vie) par le doute. J’ai perdu la foi à l’adolescence, après des déceptions amoureuses, des deuils cruels, injustes et certaines lectures. Pourtant, je garde de bons souvenirs des jeudis matins que je passais chez notre catéchiste, Mme Gomez, rue Drouot, à Tergnier. Elle était douce, veuve d’un employé du chemin de fer, trop tôt disparu. Vers 11 heures, nous nous rendions dans la chapelle de l’église de Tergnier, église de la Reconstruction après la deuxième guerre mondiale. Nous y écoutions des prêtres ouvriers, dont l’un d’eux, si mes souvenirs sont bons, était syndiqué à la CGT. Je trouve ça épatant, ces passerelles entre deux formes d’espérance, toutes deux, finalement, tournées vers un besoin de justice sociale. La passerelle de Tergnier, justement, je l’empruntais les matins d’hiver. Nous nous amusions à glisser sur les pentes verglacées. J’entends encore les rires de Jean-Luc Jehan, de Gérard Lopez (dit Dadack, mon regretté copain de toujours, avec qui je jouerais dans des groupes de rock; il nous a quittés il y a quelques années), d’Alain Lanzeray, décédé lui aussi. Leurs rires résonnent dans ma grosse tête de Ternois sexagénaire. J’aimerais qu’il y ait un au-delà pour qu’ils puissent continuer à rire, là-haut, et à se pousser sur les pentes verglacées d’un infini éternel et apaisé. Je rêve; je rêve. Je ne suis bon qu’à ça. Autre rencontre au prieuré: Robert Poiret, membre de la Fédération national des associations d’anciens combattants de Verdun. J’avais fait sa connaissance il y a quelques années, dans le train de Paris, un matin. Nous avions sympathisé. Nous avions parlé de cette France que nous aimons tant et de ces guerres que je n’ai pas connues et qui me hantent. Il m’a remis un exemplaire du Combattant de Verdun, le journal trimestriel de la fédération. En compagnie de Claire Curie-Guillemain, il y a écrit un article émouvant. Il y évoque la souffrance de la Picardie, les bombardements, «le retour parmi les ruines fumantes», et la fidélité «à cette terre qui nous a vus naître et grandir». Ensuite, je l’ai photographié devant le très beau et très grand monument aux morts d’Airaines. Très grand? Tout est relatif au fond.
Dimanche 23 septembre 2018.






