
Il ne manque pas de cran, Jean-Pierre Marcos, le directeur du cirque Jules-Verne d’Amiens qui, l’autre soir, a fêté, avec élégance et créativité, son départ à la retraite. Après avoir accueilli la foule nombreuse, Jean-Pierre se déguisa en clown triste, se percha au sommet du plafond du cirque et descendit en rappel tout en lançant des pétales de fleurs sur la piste. Une manière poétique de dire au revoir à ses amis. Une camarade me confia qu’elle me trouvait triste, distant et bien seul à cette épatante manifestation. Ce n’était pas tout à fait faux; pas tout à fait vrai non plus. Pour être plus précis, je te confierai lectrice dodue, soumise, conquise, presque consommée, que je réfléchissais. Il est si rare que je réfléchisse que je me pare, quand cela m’arrive, d’un air absent, étrange, qui me fait ressembler à un personnage de Gérard de Nerval. Oui, je réfléchissais car le Jean-Pierre, je le connais depuis des dizaines d’années. Dois-je confesser qu’il est un presque Ternois, puisque beautorois d’origine? Lui aussi connut, à la fin des divines sixties, ces Trente glorieuses qui nous manquent tant (oui, c’était mieux avant; je ne vais tout de même pas laisser ce beau slogan aux abhorrés du Front national!), les matches de football sur le terrain de Beautor, près du canal de la Sambre à l’Oise. Les matches dans les petits matins d’automne, brumeux, humides et gris comme des taupes. Les derbies qui opposaient l’Union sportive de Beautor (USB; «Non, l’USB n’est pas morte!», chantait mon ex-beau-père, Albert, à l’heure de l’apéritif au Porto, les dimanches) à l’Entente sportive des cheminots ternois (ESCT qui fut mon équipe – j’occupais le poste d’inter-droit, puis celui d’arrière droit; j’ai toujours été mauvais à gauche, c’est pour cela que j’aime tant la littérature de droite, notamment celle des Hussards – et, avant encore, celle de mon père Alfred). Il n’était pas rare que la balle de cuir poreux se retrouvât dans l’eau céladon dudit canal. Lors de la cérémonie, Jean-Pierre ne put s’empêcher de faire un clin d’œil à notre cher département de l’Aisne, en invitant l’excellent orchestre de jazz manouche Gadget Swing, composé notamment de musiciens de Charmes. Charmes: je me mis à penser à mon copain Jean-François Granger, dit Gé, mime à ses heures, fou de cinéma, parti vendre des copies de tableaux de maîtres à Hambourg, et, à ma connaissance, jamais revenu, disparu dans les brouillards salés et teutons. Je repensais à l’usine Maguin où travaillait Didier Gaudefroy, le grand frère de mon regretté copain Fabert (RIP), tombé au champ d’honneur de nos adolescences ternoises. Charmes: je pensais au lycée catholique Lacordaire où étudia ma chère Catherine Caille, délicieuse petite amie, grande didiche belle comme une aube de communiante rock’n’roll, des jambes interminables, des allures des mannequins de l’émission Dim, Dam, Dom, morte dans un accident de la circulation sur la côte d’Azur, au milieu des seventies, à l’âge de 20 ans. Quand Gadget Swing interpréta «Nine by Nine», de John Dummer, que j’avais tant écouté à Tergnier, un vertige de nostalgie me terrassa. Oui, j’avais l’air absent, étrange. Belle retraite, Jean-Pierre! Et vive nos années mortes!
Dimanche 30 octobre 2016.






