Avec «La vérité sur la comtesse Berdaiev», roman étincellant, Jean-Marie Rouart dessine une époque.
Dans la vraie vie, le

président de l’Assemblée ne s’appellait pas Martineau, pas plus que la comtesse, sa maîtresse, ne se nommait Berdaiev. Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, La vérité sur la comtesse Berdaiev, serait-il une fiction totale? Il n’en est rien.
Héros
Car ce roman s’inspire directement du fameux scandale des ballets roses qui coûta la carrière politique d’André Le Troquer, président de l’Assemblée nationale de 1954 à 1955, puis de 1956 à 1958, héros de la Première guerre mondiale (au cours de laquelle il fut amputé d’un bras), courageux résistant, membre de la SFIO. A la fin de la IVe République, il s’adonna à des parties fines avec de jeunes adolescentes (dont certaines mineures) en compagnie de la comtesse et comédienne Elisabeth Pinajeff. Il aurait voulu devenu président de la République. Mais le général de Gaulle, rappelé à la barre par les Français, le souhaitait aussi. Certains affirmèrent que Le Troquer fut victime d’un complot mené de main de maître par la DST pour le salir et le faire tomber. C’est donc sur fond du terrible scandale des ballets roses que Jean-Marie Rouart raconte l’histoire de la comtesse Berdaiev, magnifique aristocrate issue de la communauté des Russes blancs. Celle-ci veut réussir dans une France accueillante et si libre à ses yeux, elle qui a fui l’Union soviétique. Condamnée à l’exil, elle dissimule son mal de vivre sous la légèreté d’une vie composée de fêtes, de luxe apparent et de jeux interdits. Elle s’étourdit de plaisirs sensuels et de vodka, reçoit beaucoup, en particulier le président Martineau qui, pense-t-elle, la protège des emballements de la morale rigide de cette France de cet après-guerre qui rit mais ne rigole pas, qui profite mais ne jouit pas. En tout cas en apparence. Elle se heurtera à la dureté implacable du monde de la politique qui ne lui fera pas de cadeau… Dans une langue superbe, sensuelle, riche et gourmande, Jean-Marie Rouart nous donne à lire un roman qui, souvent, prend des allures d’épopée. Ce n’est pas seulement le portrait de la sublime comtesse que dresse l’académicien mais bien celui de la IVe République agonisante et celui des débuts, mouvementés, de la Ve. On se régale des croustillants détails, des petits faits et gestes de ces manières de fantômes que l’Histoire, la grande, finit par engloutir. A la façon d’un peintre, Jean-Marie Rouart, dessine dans un style impeccable et incisif, les contours d’une poignée de destins façonnés par la guerre, le pouvoir et ses méandres. Ces destins qui eussent très bien pu figurer dans les pages d’un roman de Patrick Modiano. C’est ce que l’on nomme, un peu bêtement, des destins romanesques. Jean-Marie Rouart s’empare de ceux-ci pour tisser une toile de haute littérature. De celles qui procure un vif et savoureux plaisir de lecture.PHILIPPE LACOCHE
La vérité sur la comtesse Berdaiev, Jean-Marie Rouart; Gallimard. 203 p.; 17,50 €.






