Dans un roman magistral, Franz-Olivier Giesbert fait comprendre comment l’ignominie est née en Allemagne.
Franz-Olivier Giesbert. Photo : Francesca Mantovani.
Il est des romans bien plus forts que les essais et les pamphlets. Le Schmock, de Franz-Olivier Giesbert, est l’un de ceux-là. Ceux qui – s’il en reste – douteraient encore de l’ignominie de cette pourriture d’Hitler et de sa bande de crevures de nazis doivent lire ce livre; ils comprendront. Ils se révolteront, puis auront envie de vomir. Le nazisme donne la nausée. Il est incomparable dans sa barbarie: elle est inégalée. La force de Franz-Olivier Giesbert consiste à résumer ça dans un roman. Dans un roman où figurent histoires d’amours, tendresse, folie, cruauté, et humour. C’est digne des plus grands: Balzac, Dumas, Céline, Vailland, Déon et quelques autres.
«Sous les insultes et les coups des SS que ces exercices mettaient en joie.»
Faut-il rire quand l’auteur nous fait sentir la réelle puanteur du nazisme et des nazis? Page 46, à propos d’Hitler: «(…) il sentait si mauvais. Il avait l’haleine, la sueur infectes. Autour de lui, l’air était irrespirable, les personnes sensibles faisaient des malaises.» Page 141: «Tous les historiens s’accordent sur ce fait essentiel qui pouvait expliquer les nombreuses grimaces ou colères d’Hitler: il avait des gaz. Wagner de la flatulence, il lâcha ainsi, ce jour-là, un pet malodorant, puis un deuxième, et encore un autre, tout en parlant d’un ton dégagé, pendant que ses voisins de table étaient au bord de la suffocation.» Rien de plus normal: la charogne, ça pue. La connerie et la folie méchante aussi. Page 373, après avoir rappelé qu’Himmler était sans doute l’un des seuls qui fussent normaux (bien qu’immonde et machiavélique), les autres dignitaires «étaient soit des psychopathes (Goebbels, Heydrich), soit des fripouilles (Göring, Bormann), soit des demeurés (Hess, Rosenberg). Sans parler d’Hitler, gibier de psychiatres, rongé par la haine, voire la syphilis.» Dans le même ordre d’idée, la définition du mot yiddish «schmock» est imparable et convient parfaitement au créateur de Mein Kampf: «Un imbécile, un pénis, un idiot, une ordure».
Ce roman impeccable, efficace et puissant, pourrait aussi servir de remède contre ce vice increvable qu’est l’antisémitisme. Les personnages juifs sont d’une grande justesse. Et Franz-Olivier Giesbert possède l’art, mine de rien, sans larmoyer, sans démagogie, d’exposer la souffrance immense de ce grand peuple.
Gymnastique punitive à Dachau
Exemple: la pratique de la gymnastique punitive, à Dachau, mise en place par Theodor Eicke, l’un des premiers commandants du camp mortifère; elle consistait à «faire courir pendant des heures «la racaille juive» et à l’obliger à courir, ramper, rouler dans la boue, marcher à quatre pattes, traverser des taillis épineux, boire l’eau sale des flaques, sous les insultes et les coups des SS que ces exercices mettaient en joie.» Si ce n’est pas du sadisme, qu’est-ce donc?
Ce livre gagne encore en force quand on sait que Giesbert – fils d’un ancien GI, bardé de médailles, débarqué en Normandie le 6 juin 1944, dans une des premières vagues–, est issu de sangs mêlés: normand, allemand, autrichien, juif, anglais et écossais. Qui de mieux placé que lui, pour tenter de comprendre «pourquoi tant d’Allemands «bien» respectables, avaient pris à la légère la montée du nazisme tandis que les Juifs tardaient étrangement à fuir»? Ce très grand roman (digne des Poneys sauvages, de Michel Déon) y répond de magnifique manière.
PHILIPPE LACOCHE
Le Schmock, Franz-Olivier Giesbert, Gallimard; 402 p.; 21,50 €.







