
Serait-ce le fait que je sorte moins ? Certainement. Une chose est sûre : je regarde beaucoup la télévision. Bonheur, l’autre soir, de tomber nez à nez avec le téléfilm Alias Caracalla, au cœur de la Résistance, œuvre d’Alain Tasma, sur un scénario de Georges-Marc Benamou, Daniel Cordier et Raphaëlle Valbrune, un drame historique diffusé pour la première fois en 2013 ; je l’avais vu alors avec un vif plaisir. L’œuvre, divisée en deux épisodes (Les Rebelles du 17 juin et Rex (Jean Moulin), mon patron) s’inspire du récit de Daniel Cordier, compagnon de la Libération. Au cours de la première partie, celui-ci rallie la France libre dès juin 1940 après qu’il a entendu le discours de Charles de Gaulle ; dans la seconde, on le suit, dans son rôle de secrétaire de Jean Moulin, ce jusqu’à juin 1943. L’œuvre est attachante ; c’est indiscutable. Le scénario est précis, didactique sans être trop pesant, trop péremptoire ; il est servi par une théorie de comédiens issus d’un casting cohérent : Jules Sadoughi (Cordier), Eric Caravaca (Moulin), Julie Gayet (Marguerite Moret ; bien meilleure ici que sur le siège arrière du scooter présidentiel), Nicolas Marié (Bidault), etc. Cette fois, j’ai regardé ce téléfilm avec un œil autre. Je traquais l’écran avec l’espoir d’y voir apparaître celui que Roger Vailland, compagnon d’armes de Cordier dans la Résistance, à Lyon, nommait Rodrigue : mon ami, le regretté Jacques-Francis Rolland. J’interromps l’écriture de cette chronique pour me rendre dans ma bibliothèque aussi bien rangée que la chambre de l’hôtel « A la ville de Courtrai », à Bruxelles, occupée par Paul Verlaine et Arthur Rimbaud le 10 juillet 1873. Seuls les opus de mes auteurs cultes y sont classés. J’en extrais Drôle de jeu, de Roger Vailland, publié chez son éditeur d’origine Buchet/Chastel, précieux ouvrage à la couverture couleur de cédrat, qui me fut offert par Féline, mon ex-épouse, au matin du Noël de 1982. Ce sublime roman, le texte le plus lucide, le plus juste, le plus vrai qui fût écrit sur la Résistance au sortir de la guerre (et je ne dis pas ça parce que l’auteur évoque la gare de triage de Tergnier à la page 29 !). Vailland nous raconte sa Résistance aux côtés de Caracalla-Cordier et Rodrigue-Rolland dans un Lyon où l’essentiel de la presse française s’était replié. L’écrivain y rappelle de Cordier militait à Action française avant la guerre. (J’ai en commun avec Vailland d’aimer la noblesse patriote qui a fait la France, et de mépriser la bourgeoisie affairiste qui l’a toujours vendue aux ennemis.) Il y a dans ce roman des passages d’une limpidité éclairante. Page 89 : « En ce moment, les hommes de droite (C. – N.D.L.R. : Caracalla-Cordier – était camelot du roi en 1939) sont déchirés par la nécessité de combattre les fascistes dont ils approuvent la politique intérieure ; les hommes de gauche, par l’apparente contradiction entre leur antimilitarisme, leur pacifisme (« Prolétaire de tous les pays, unissez-vous ! ») et la nécessité de combattre l’armée allemande. » Rodrigue n’apparaît pas physiquement dans le téléfilm, mais il y est tellement présent. Jacques-Francis Rolland, mon ami, me manque, comme me manque déjà mon ami Jean-Claude Michaux, homme de culture, de théâtre et de littérature, humaniste généreux, qui nous a quittés en début de semaine. Je lui dédie cette chronique lui qui n’en manquait pas une.






