
Les 1er mai se suivent et ne se ressemblent pas. Il en est de calme, doux et tranquille comme l’existence d’un petit-bourgeois de Montauban; un brin de muguet suffit, traditionnel, efficace. S’ensuit une journée molle. Et coucher! D’autres pluvieux qui font virer la blancheur laiteuse de la petite fleur en un gris poussiéreux. Et coucher! D’autres ensoleillés, mais inutiles, car on est seul, jeune plaqué ou vieux célibataire. Alors, on s’anesthésie dans la lecture d’un livre, ou devant la télévision. Et coucher! De toute façon, sauf exceptions (pendus restés accrochés non retrouvés dans des forêts profondes, corps égarés dans des capsules spatiales, etc.), on finira tous couchés. Et puis, il est des 1er mai différents, qui vous remuent, qui vous surprennent. Ce fut le cas du dernier en date. Il faisait affreusement beau. Tôt le matin, je fonçais dans mon jardin cueillir quelques brins du précieux muguet. Ma chère voisine Béatrice me héla, et me tendit, par-dessus la clôture, un petit bouquet. Je lui renvoyai la politesse en lui en tendant un également. Et je fonçais au parc de la Hotoie où je retrouvais la Marquise, Clément, photographe, et mes éditeurs. Sur place, l’ambiance était festive et fraternelle. J’assistais, amusé, aux aimables joutes verbales entre Klifa, de la CGT, organisateur de la fête, et le député François Ruffin. D’un stand à l’autre, Emmanuel Macron et la fausse gauche de la précédente vraie sociale démocratie molle (qui nous a bien mis dans l’embarras) en prenaient pour leurs grades, ce qui, tu t’en doutes lectrice diplômée de Sciences Po, n’était pas pour me déplaire. Nous fonçâmes ensuite au château de Tilloloy où Albin de la Simone devait donner un concert et où se déroulait un salon du livre. Albin était absent, remplacé par un groupe. En revanche, le salon avait bien lieu. À l’issue de celui, j’en profitais pour demander qu’on m’autorisât à baguenauder dans le verger du château. Je me souvenais, en effet, y avoir découvert, il y a une dizaine d’années, en écartant les branches d’un poirier contre un mur crayeux, la pierre tombale du sergent Raso, espagnol engagé au 3e Régiment de marche du 1er Étranger, mort pour la France le 13 mai 1915 en ces lieux, et que Blaise Cendrars appelle Rossi dans son chef-d’œuvre La Main coupée. Cendrars raconte, si mes souvenirs sont bons, que Rossi, alors qu’il était en train de se goinfrer dans sa cagnat, avait été éventré par une grenade teutonne (ou par un éclat d’obus?). «Il ne connaissait pas sa force, mangeait comme quatre et demanda directement à son colonel de faire agrandir la tranchée tellement il était fort. Rossi que se perdait systématiquement en patrouille, plantait à lui tout seul tout un réseau de barbelés sans effort apparent et ramassait toute la bouffe qu’il pouvait avant d’aller la manger seul dans son trou, indifférent à la boue, la saleté ou le cadavre qui lui tenait compagnie», écrit Blaise. Soudain, Gérard Comyn, maire de Tilloloy, grand spécialiste de Cendrars et de l’histoire de son village, proposa de m’emmener revoir la fameuse plaque. Elle était toujours là, bien dégagée cette fois. Moment d’émotion. La scène du livre se déroulait devant moi. Je vous le disais, les 1er mai se suivent mais ne se ressemblent pas…
Dimanche 13 mai 2018.






