Matthieu Mégevand nous fait revivre les souffrances du poète Roger Gilbert-Lecomte.

Grand Jeu (avec Roger Vailland, Robert Meyrat et René Daumal), Roger Gilbert-Lecomte était un poète génial et maudit qui se détruisit aux drogues dures et aux alcools délétères. Dans les années 1930, il contribua donc à fonder à Reims, la revue littéraire Le Grand Jeu qui devint l’un des mouvements littéraires et poétiques les plus importants – et les plus méconnus aussi – du XXe siècle. Celui-ci, parallèle au Surréalisme – sans que les jeunes Rémois eussent été au courant de l’existence du rassemblement poétique d’André Breton, fut capital dans la littérature française. Ces jeunes gens intelligents et sombres comme étaient issus de la petite bourgeoisie; ils détestaient leur milieu, crachaient sur ses odeurs de pot-au-feu dominical et de pantoufle chaude. La Grande Guerre venait de prendre fin; le fantôme d’Arthur Rimbaud non plus (à Charleville-Mézières). Ils se prirent pour le créateur du «Bateau ivre», pour Lautréamont et Artaud. Dans La bonne vie, son roman, Matthieu Mégevand écrit: «En attendant, hors des murs familiaux ou scolaires, pendant de longues heures laissées libres, que faire?». Il nous invite à suivre Roger Gilbert-Lecomte dans son parcours littéraire, son martyre, sa vie effroyable car il mourut à Paris, à l’âge de 36 ans, victime du tétanos, les bras criblés par les piqûres d’héroïne. Gilbert-Lecomte: une manière de Christ rock épinglé sur sa croix de souffrance par les shoots de blanche.
Dans les rues de Reims
Roger Gilbert-Lecomte et ses copains arpentaient les rues de Reims, le parc de la Patte-d’Oie, la place d’Erlon, l’hôtel Crystal, la guinguette du Cosmos ou le dancing Aquarium; ils y trompaient leur spleen bluesy et expérimentaient les paradis artificiels afin de s’écarter de l’ordre et du plat quotidien. Ils fument, boivent dans des dancings bondés, du madère, de l’eau-de-vie, du Picon, du champagne et du gin; ils arborent des sourires secs, des regards entendus, beaucoup de cynisme et d’humour noir. Gilbert-Lecomte, Daumal, Meyrat et Vailland sont affalés sur des canapés,; ils appellent des filles. Ils font les fiers, «ingurgitent, se lancent cajoleries et quolibets, et c’est fou ce que l’alcool, la musique et la nuit peuvent receler d’étourdissements et de liberté». Gilbert-Lecomte écrira, au cours de sa vie brève, poèmes, haïkus et proses et poèmes d’une beauté imparable. Vailland deviendra un immense romancier (Les mauvais coups), un résistant courageux (Drôle de jeu) et un reporter talentueux. Daumal se perdra dans le mysticisme. Il fallait un écrivain, un grand, et un styliste doué pour évoquer et rendre palpable la souffrance et les pérégrinations de Gilbert-Lecomte. C’est Matthieu Mégevand. Son écriture est ciselée et précise. Toujours sincère et juste. Le portrait d’André Breton, cet autocrate à l’haleine d’ail et au style bien compliqué, est une merveille. Ce livre est très réussi. (À noter que Matthieu Mégevand envisage d’écrire une trilogie sur trois artistes: un écrivain, un peintre et un musicien. Gilbert-Lecomte est l’écrivain; Toulouse-Lautrec sera le peintre. Quant au musicien, il reste à définir.)Philippe Lacoche
La bonne vie, de Matthieu Mégevand, Flammarion, 155 p., 16 €.






