Pereira prétend, Pierre-Henry Gomont, d’après le roman d’Antonio Tabuchi. Editions Sarbacane, 160 pages, 24 euros.
Adaptation subtile et forte d’un roman à succès d’Antonio Tabuchi.
En 1938, en pleine dictature salazariste, le doutor Pereira est un journaliste vieillissant, veuf inconsolable et solitaire. Depuis une trentaine d’années, il rédige sans passion la page culturelle du Lisboa, quotidien conservateur de Lisbonne. Indifférent aux violences du régime, “bon catholique“, conversant surtout avec le portrait de sa défunte épouse et les affres de sa conscience, il s’interroge sur la résurrection de l’âme et pense avoir trouvé une partie de la réponse chez un jeune écrivain, Francesco Monteiro Rossi, qu’il engage – sans logique véritable – comme collaborateur, sous le prétexte de lui faire rédiger des nécrologies anticipées d’écrivains. Mais emporté par sa fougue et par la ferveur de sa compagne au service des Républicains espagnols, Monteiro livre des textes sulfureux sur des auteurs interdits comme Garcia Lorca ou Maïakovski. Lorsqu’il se retrouvera confronté avec la police politique, Pereira devra, à son tour, prendre position…
Après Les Nuits de Saturne, d’après le roman noir éponyme de Marcus Malte, Pierre-Henry Gomont poursuit dans cette veine de l’adaptation littéraire. En changeant d’univers mais toujours avec un bonheur certain.
Ce portrait d’un homme ordinaire, désenchanté et désengagé, qui va presque malgré lui marquer fortement son opposition au régime dictatorial en place est brossé avec délicatesse. Porté par le texte de Tabuchi, Pierre-Henry Gomont illustre bien l’évolution toutes en nuances et en douceur de son héros. Et son attitude, a priori paradoxale qui lui fait nouer une amitié avec le jeune Monteiro, reflet inavouable de ce qu’il aurait peut-être aspiré à être.
Nettement moins réaliste que dans Rouge Karma, le trait plus jeté et expressif du dessin s’accompagne d’une approche chromatique qui reflète et accentue les sentiments et réflexions du personnage. Tout comme ses débats intérieurs sont bien restitués par la vision imagée de la conscience tourmentée de Pereira.
L’évolution du “doutor Pereira” est une illustration à sa manière de la fameuse formule qui veut que lorsqu’on s’occupe pas de politique, la politique s’occupe de nous. Et la fin, avec le bon tour joué par Pereira à son directeur et au régime de Salazar, malgré son côté tragique et amer, ne manque pas de provoquer une secrète jubilation. Démonstration que chacun peut, à un moment, se révéler et agir en “honnête homme”.
Avec son court article, le plus important et vital de sa carrière, Pereira a retrouvé à la fois sa conscience professionnelle, l’essence de son métier de journaliste – si oublié – et sa grandeur d’homme. Une forme de rédemption parfaitement restituée au fil de ce long roman graphique qui se lit d’une traite.






