
Comparaison n’est pas raison. Pendant le procès Bardon, à intervalles réguliers, il nous venait un goût de « déjà vu ». Soudain, précisément en entendant l’avocate générale Anne-Laure Sandretto, l’évidence nous a sauté aux yeux, ou plutôt aux oreilles : Chabé ! Évidemment Chabé !
Ludovic Chabé, 42 ans, était accusé d’avoir tué sa femme le 25 février 2005 à Humbercourt, près de Doullens. Willy Bardon, 45 ans, a répondu ce mois-ci du meurtre d’Élodie Kulik le 11 janvier 2002, à Tertry près de Péronne. Si les deux victimes sont mortes étranglées, les crimes n’ont rien de comparable : le premier, selon l’accusation, aurait été guidé par la jalousie quand le second présente un caractère sexuel (Élodie a été enlevée et violée).
Pour le reste… Dans l’affaire Chabé, le procès permet de lever le voile sur une instruction totalement à charge, comme si, après l’avoir royalement ignoré, l’enquête avait décidé à un moment que le coupable ne pouvait être que le mari, par ailleurs pompier professionnel à Paris. En guise de pression, il aura droit à la garde à vue de sa mère et de sa sœur, histoire de lui arracher de rocambolesques aveux, à peu près aussi fiables que ceux de Bardon, qui a un moment lâchera : « Puisque tout le monde dit que j’y étais, c’est que je devais y être ».
Dans les deux dossiers, ultra-médiatisés, la cour d’assises d’Amiens est confrontée à des expertises discutables et discutées. Pour Chabé, elles concernent l’heure du décès, la possibilité d’être rentré à temps pour commettre le crime et la notion d’état de sidération, qui aurait empêché un sauveteur chevronné de porter secours à sa jeune femme. Chez Bardon, c’est la reconnaissance de la voix sur l’appel aux pompiers qui prend place au cœur du dossier.
À chaque fois, les accusés clament leur innocence. À chaque fois émerge l’hypothèse d’un troisième homme (l’amant chez Chabé, l’apprenti chez Bardon) qu’il sera impossible d’impliquer. À chaque fois, la cour s’appesantit sur des considérations morales : Chabé en veuf joyeux, Bardon en obsédé sexuel.
À chaque fois, les accusés ont face à eux Anne-Laure Sandretto, qui admet honnêtement les errements de l’enquête mais réclame, et obtient, des condamnations : à douze ans pour l’un, à trente pour l’autre. À l’énoncé du verdict, Bardon avale une capsule de poison ; Chabé confiera avoir pensé plus d’une fois mettre fin à ses jours.
Ludovic Chabé a été acquitté en appel, à Beauvais, le 5 juin 2015.