Ce matin, j’ai entendu l’ancien gaucho Daniel Cohn-Bendit sur France Inter. Il défendait l’Europe. J’ai eu mal. Mal à la gauche. Celui qui, en mai 1968, au côté de Sauvageot et de quelques autres, symbolisaient, pour nous, jeunes prolos, l’espérance d’un monde meilleur, l’espérance de mettre à genou cette cochonnerie de capitalisme, l’entendre ce matin défendre cette Europe des marchés, j’ai eu honte. Honte de m’être fait berner par tous ces anciens gauchos, néo-libéraux. Quand un confrère lui a demandé s’il était encore à gauche, il a hésité, et il a répondu qu’il ne savait pas, le Daniel. Dany le Rouge; Dany le Vert. Dany le Jaune, oui!
Je te livre, lectrice, l’article que j’ai écrit ce matin dans le Courrier picard sur le livre de Picouly. Je m’y retrouve dans ce livre jacobin, nostalgique. Certains diront que j’appartiens à une gauche ancienne, que je défends la France moisie. Je l’aime moi cette France. Garde ton Europe allemande, ton Europe des marchés, ton Europe de l’injustice sociale, Dany le jaune! Je n’en veux pas. Ph.L.
C’était la France d’avant. Celle qu’on aime quand est né au cœur des années cinquante. La France des Trente glorieuses, celle du Général (qui inspirait discussions, admiration, contestation et respect), du plein emploi. On n’avait pas encore connu mai 1968, les années sida, l’ultralibéralisme, l’Euro-hystérie et la pensée unique. C’était la France d’un capitalisme doux, joyeux, paternaliste, républicain et patriote. Il y avait dans l’air des odeurs de craie, de tableau noir mouillé par l’éponge plongée dans le seau ramené par l’élève de corvée – comme à l’armée. Il y avait les leçons de morale dans le respect de la laïcité absolue. On apprenait la géographie avec de grandes images inspirées du géographe Vidal de La Blache. On y voyait une ferme, la mine, les cotonnades du Nord, la circulation urbaine. Tout

était à sa place. Rassurant. Plein de repères. Dans la cour de récréation, on se fichait des peignées. On ne se massacrait pas encore à coups de battes de base-ball. C’était hier ; c’était mieux.
PHILIPPE LACOCHE
«Nos géographies de France », Daniel Picouly, Hoëbeke, 188 p., 30,50 euros.