Désinvolture à la hussarde et mélancolie modianesque: le dernier livre d’Arnaud Le Guern envoûte…

Citer un confrère quand il est imparable relève de la salubrité: «L’émotion affleure malgré la pudeur. On dirait le Goncourt, en plus court. Le Guern a tous les défauts: le snobisme, trop de facilités, et une absence totale de prétention. Pourvu qu’il ne les perde jamais.» Ainsi s’exprime Frédéric Beigbeder dans le Figaro magazine du 11 janvier à propos d’Une jeunesse en fuite, le dernier roman d’Arnaud Le Guern. Difficile de mieux dire.
Peintre impressionniste
des lettres françaises

Il l’avait prouvé avec ses deux précédents romans (Du soufre au cœur, 2010, chez Alphée; Adieu aux espadrilles, Le Rocher, 2015), Arnaud Le Guern est un écrivain qui manie avec subtilité le panache des Hussards et une mélancolie modianesque. On retrouve ici ces deux qualités majeures qui, actuellement, font trop souvent défaut à la littérature contemporaine, gangrenée par le sociétal, et l’imbécile et éphémère modernité. Le Guern, peintre impressionniste des lettres françaises, trempe son pinceau dans les couleurs éternelles et l’eau de l’universel. On est en droit de l’en remercier.
«C’est l’été. Il fait doux; l’écume mousse
sur la plage.
Les souvenirs aussi.»

Que nous dit-il? Peu et beaucoup. Peu: son enfance en Bretagne où il revient un jour d’aujourd’hui en compagnie de sa fille. C’est l’été. Il fait doux; l’écume mousse sur la plage. Les souvenirs aussi. Le narrateur se replonge dans les années 1990. Il a quinze ans. Adolescence légère, douce, un brin désinvolte. Les jeunes Bretonnes sont séduisantes et peu farouches. La musique est bonne: Guns N’Roses, Christophe, Niagara, Louise Feron… Et quand la musique est bonne… Voilà pour le peu. Le beaucoup, ce sont les non-dits, les mystères. Ce père, médecin militaire de haut niveau, courageux mais taiseux, franc-maçon discret qui garde tout au fond de lui cette guerre du Golfe qui, au final, l’a brisé. Tout comme l’a brisé la mort, récente, de son chien adoré. Page 162: «Début janvier 1991, la guerre est déclarée. Opération Tempête du désert. Le narrateur apprend la nouvelle à la radio. Dans son oreille: les voix des reporters et le bruit des missiles qui zèbrent la nuit orientale. Scud irakien contre Patriot américain. L’angoisse ancrée en lui, le narrateur poursuit sa vie de lycéen, rythmée par les lettres d’Arabie que son père envoie, dans une époque où la légèreté, déjà, n’est plus une affaire sérieuse.» Les lettres du père seront retrouvées par le narrateur. Il les lira. Elles finiront par l’éclairer.
Ce roman, à la fois mélancolique et mystérieux, détient quelque chose d’envoûtant. Arnaud Le Guern a un talent fou.
- PHILIPPE LACOCHE
- Une jeunesse en fuite, Arnaud Le Guern, éd. du Rocher; 226 p.; 17,90 €.