
Depuis ce mardi matin, le tribunal d’Amiens est immergé dans un monde inconnu, avec ses us, ses coutumes et ses codes : celui des pêcheurs. Dans ce milieu à part, il existe un territoire encore plus atypique : Le Crotoy, en baie de Somme, que d’aucuns décrivent comme la Corse du nord. Les mêmes céderont à la tentation d’y dénicher quelque parrain et trouveront en Patrick le candidat idoine… 53 ans, forte corpulence et grande gueule, à la tête d’un petit empire : patron de pêche, mareyeur de coques, associé à une poissonnerie. Il en joue un peu, quand il conclut une phrase par un sibyllin «
Il y a un bon Dieu ! »
Un gendarme du GIR (groupement d’intervention régional) établit ainsi la note, tout en précisant qu’il a vraiment « calculé au plus bas : 935 tonnes de moules en surquota en 2015 et 2016 ; 16 tonnes de coquilles entre 2014 et 2016 ; 80 tonnes de coques pour les seules saisons 2013 et 2016 ». Soit mille tonnes, pour un bénéfice de 94 5000 euros.
Par la voix de ses avocats M es Crépin et Croix, Patrick rejette tout simplement la validité des arrêtés préfectoraux qui ont fixé les quotas. Il refuse donc de s’exprimer sur le sujet. Reynald, son ancien employé, n’élude pas : « Oui on pêchait en surquota. Patrick m’appelait la veille et il me disait, il me faut 80 ou 90 sacs pour demain , alors qu’on n’avait pas droit à plus de 60 sacs. Je ne pouvais pas refuser, et pour être honnête, il y avait aussi l’appât du gain. Mais tout le monde pêchait en surquota ! Nous, on s’est fait attraper… »
Le plus étonnant, c’est qu’après ce premier contrôle, l’enquête s’est écoulée comme l’eau à l’écluse. Pas de marché parallèle ! Pas d’enveloppes de liquide sous la table ! Le comptable de Patrick notait consciencieusement tous les tonnages, les réguliers comme les frauduleux. Il a suffi d’ouvrir les tableaux Excel…
Deux ans de prison ferme requis contre le mareyeur du Crotoy
Le tribunal rendra son délibéré le 12 mars prochain, dans l’affaire de pêche en surquota reprochée à un habitant du Crotoy. La saisie d’un million d’euros de biens a également été réclamée.
Les réquisitions prises ce mercredi par la procureure Frédérique Olivaux contre Patrick, 53 ans, mareyeur-armateur au Crotoy et au Tréport, piquent comme de l’eau salée sur une plaie vive. Elles brûlent, même : deux ans de prison ferme, 10 500 euros d’amende, 15 ans d’interdiction de gérer une entreprise, 5 ans d’interdiction d’exercer tout métier en rapport avec la pêche et surtout, la confiscation du million d’euros de biens saisis (des comptes bancaires et deux immeubles). Contre sa femme Nathalie, le parquet réclame un an avec sursis et 5 ans d’interdiction de gérer.
« C’est sa mort civile ! s’exclame Me Jérôme Crépin. Il peut rester deux ans à la maison d’arrêt puisque quand il sortira, il sera clochard ! La mer, c’est sa vie et sa vie, c’est la mer. »
Avec une femme à l’étal (et officiellement gérante de la société de mareyage de coques), une fille à la poissonnerie, un garçon sur un bateau, la procureure parle d’un « système qui fonctionne en boucle », d’une « opacité ». « Quelle opacité ? lui répond l’avocat. Ils fonctionnent comme des dizaines de famille sur la côte. Lui, il va en mer depuis l’âge de treize ans, à la suite de son père et de son grand-père, et il espère que ses fils prendront sa suite. La mère vend à quai et quand on peut, on achète une poissonnerie, parce que c’est plus intéressant que de vendre à des intermédiaires. C’est tout. »
Les arrêtés sont-ils légaux ?
Le problème n’est pas là. Il réside dans les surquotas de coques, de moules et de coquilles Saint-Jacques reprochées à Patrick, entre 2014 et 2016. Il y en aurait pour mille tonnes, selon le comité national des pêches, qui réclame un million d’euros d’indemnité.
Le tribunal se donne jusqu’au 12 mars pour rendre son délibéré. Sagement, car c’est la légalité même des arrêtés préfectoraux limitant la pêche des mollusques que remet en cause la défense, avec un certain talent à l’image de Me Croix, du barreau du Havre, qui a ce matin ridiculisé le sous-officier des Affaires maritimes de Cherbourg, tant l’avocat semblait mieux maîtriser son sujet que l’adjudant. Il est vrai que le tribunal, pendant deux jours, a été confronté au droit de la pêche, beaucoup plus flou que le code pénal, avec ses dispositions qui changent, parfois en cours d’année, selon le lieu, la saison, les retours de marée…
Dans cette galère étaient également embarqués deux pêcheurs du Tréport, coupables essentiellement d’avoir obéi aux ordres de leur armateur (Patrick) et surtout de s’être fait prendre la main dans le sac de moules. Contre eux, le parquet requiert six mois avec sursis : un moindre mal, mais le comité des pêches leur réclame 315 000 euros de dommages et intérêts !
« Je finirai une grenade dans la bouche »
Au terme de débats menés avec fermeté et intelligence par la présidente Raeckelboom, le dernier mot est revenu au principal intéressé. Contenu pendant deux jours, il s’est lâché : « Ma maison, vous ne l’aurez pas. Je finirai une grenade dans la bouche. Vous aurez rien ! Quand je pense que mes cotisations payent des avocats (NDLR : des comités national et régional des pêches) qui viennent m’assassiner… Qu’est-ce que c’est que ce métier ? Qu’est-ce que je fous dans ce pays ? Tout ce que j’ai fait, c’est trop travailler ! Mais je sortirai de ce tribunal la tête haute… »
13/03/2019
Surquota : une peine entre deux eaux
Pour le mareyeur armateur, les conséquences économiques sont lourdes.
PATRICK N. a été condamné pour surquota et des délits annexes à 18 mois avec sursis et 50 000 euros d’amende, 8 ans d’interdiction de gérer une société et 3 ans d’exercer la profession de marin pêcheur. Il doit verser 10 000 euros au comité des pêches et 20 000 à France Nature Environnement (FNE).
SA FEMME NATHALIE : 6 mois avec sursis, 5 ans d’interdiction de gérer.
LE COUPLE se voit confisquer un immeuble du Crotoy et environ 110 000 euros d’économies.
LES DEUX CAPITAINES DU TRÉPORT sous les ordres de Patrick N. : 4 et 5 mois avec sursis, 500 euros (chacun) au comité des pêches, 1 000 à FNE.
Du strict point de vue pénal, le délibéré rendu mardi, trois mois après le procès, ramène en eaux calmes un dossier qui a connu deux ans de tempête procédurale.
Il y a loin, en effet, des deux ans ferme requis par le parquet le 19 décembre contre Patrick N., 53 ans, et les 18 mois avec sursis prononcés mardi. Loin, aussi, des dommages alloués au comité régional des pêches (le comité national a été purement et simplement débouté) : il voulait un million, il n’obtient que 10 000.
Les chiffres avaient pourtant donné le tournis. Patrick était accusé d’avoir, entre 2013 et 2016, pêché en surquota presque mille tonnes de moules au large du Tréport, des coques (cent pêcheurs à pied travaillent pour lui sur le gisement de Brévent) et des coquilles Saint-Jacques. ( Le quota est le poids maximum qu’un bateau est autorisé à pêcher en une journée, afin de préserver la ressource.)
« UN SURQUOTA JUDICIAIRE »
« C’est un jugement mesuré. S’il n’y avait que les mesures pénales, je ne sais même pas si nous envisagerions un appel. Le problème, c’est le surquota judiciaire ! », analyse à chaud Me Jérôme Crépin.
En cause : la saisie d’un immeuble du Crotoy (dont le couple devrait payer les traites même si l’État en devient propriétaire !), l’interdiction de gérer toute société pendant huit ans et de travailler comme marin pêcheur pendant trois ans pour lui ; de gérer pendant cinq ans pour sa femme.
« Bref, ils veulent que j’arrête de travailler ! explose Patrick N. Mais moi, j’irai partout avec mes bras ! La France, c’est la délation, par des gens qui n’ont pas les c… de faire comme moi. Il faudrait être émigré fiscal ou politicien pour gagner de l’argent ? Moi, je ne partirai pas ! »
« C’est une grande gueule avec un grand cœur , tempère son avocat. Il a payé les impôts sur tout ce qu’on lui reproche aujourd’hui. Quand un de ses bateaux a fait naufrage, il s’est remonté les manches et il a bossé comme un dingue. C’est un homme fier. »
Lampistes entraînés dans cette galère, les deux capitaines du Tréport ne sont pas sûrs de faire appel. Patrick N. et sa femme, certainement, ne serait-ce que parce que le tribunal n’a pas prononcé d’exécution provisoire, donc que cet appel suspend toutes les conséquences du jugement.
Sur le même sujet, article du 17/10/18. Attention ! Cette condamnation fait l’objet d’un appel
Un mareyeur du Crotoy condamné pour menaces de mort
Patrick N. a été condamné à du sursis et à une interdiction professionnelle pour avoir menacé de mort deux gardes du comité des pêches, en juin dernier, à Fort-Mahon.
L’agenda judiciaire de Patrick N., 53 ans, est plutôt chargé. Les 18 et 19 décembre prochains, ce mareyeur du Crotoy, déjà condamné 19 fois, doit répondre de pêche en surquota. L’accusation évoque un volume de mille tonnes, entre 2015 et 2016 !
En attendant, il était convoqué ce mercredi 17 octobre pour avoir, les 7 et 12 juin derniers, insulté et menacés de mort deux gardes jurés du comité régional des pêches, qui venaient de prendre leurs fonctions sur la côte picarde. La colère de Patrick N. aurait été déclenchée par le contrôle de la cargaison de coques (la saison venait de commencer) du camion de sa femme, quelques jours plus tôt. À deux reprises, les gardes auront droit à ces menaces : « Je m’en fous de lui coller une balle, si je dois en tuer un pour être tranquille… Tu verras ce que tu vas devenir si tu montes dans mon camion ! Tu ne vivras plus, tu seras inexistant… Je tue de nuit. Tu ne sortiras pas de la baie ». Et de promettre « une trempe » si les deux hommes portaient plainte.
UNE ABSENCE TRÈS COMMENTÉE
Le prévenu ne s’est pas déplacé pour en répondre. « Il est en mer, c’est la saison de la coquille », justifie son avocat Me Jérôme Crépin, au grand doute des parties civiles qui affirment « l’avoir vu sur la côte toute la semaine dernière ». « Il peut faire comme tout le monde : prendre une journée », s’agace le président Manhes.
Les gardes jurés (assermentés, même si l’un des deux ne l’était pas encore en juin) considèrent que le flot de menaces était « un acte d’intimidation. Il nous a simplement dit de ne plus le contrôler. Il y avait plein de témoins. D’ailleurs, tout le monde attend avec impatience ce verdict ».
Entendu par les gendarmes, le mareyeur a minimisé : « J’étais en colère. Oui, j’ai pu les traiter de «Rambos sans couilles». Mais je ne les ai pas menacés de mort ». Me Crépin sort les violons : « Il travaille depuis l’âge de 14 ans. Il se lève à 3 heures chaque matin. Il fait vivre 150 ramasseurs de coquillages et deux équipages de chalutiers ».
LA RÉFÉRENCE A MÉLENCHON
« Il a des méthodes de voyou ou de racaille de banlieue, contre sèchement la procureure Frédérique Olivaux. Son absence aujourd’hui est un grand bras d’honneur à la justice. Une démocratie peut vite être fragilisée par ce genre d’attitude. On remet en cause l’autorité des enseignants, des gendarmes, des policiers, des pompiers, des gardes… Hier j’ai même vu un député s’inscrire au-dessus des lois ». Me Crépin refuse la comparaison avec Jean-Luc Mélenchon : « Ce député a quand même passé un peu plus de temps sur les bancs de l’école ! Mon client, il a seulement le verbe un peu haut… »
Le parquet requiert six mois ferme. Les juges en prononcent quatre avec sursis mais ajoutent une interdiction professionnelle de pêche d’un mois, avec effet immédiat. En pleine saison des coquillles…