Le scénariste de Valérian (entre autre) vient de se voir décerné le prix Goscinny 2019, notamment pour son dernier ouvrage, Est-Ouest, retour autobiographique et non dénué d’autodérision sur sa vie de scénariste et de bourlingueur, de l’Ouest américain jusqu’à l’Europe de l’Est derrière le rideau de fer.

C’est une récompense plus que méritée. Pierre Christin est le Prix Goscinny 2019, destiné à mettre à l’honneur un auteur pour la qualité de ses scénarios. Comme l’a souligné Aymar du Châtenet (administrateur de l’institut Goscinny, dont dépend le prix), lors de la conférence de presse organisée ce 20 novembre : « En distinguant Pierre Christin, les membres du jury ont souhaité couronner à la fois un album dont le récit est celui d’un itinéraire exceptionnel et le témoignage d’une époque fondatrice du 9e Art. Il a également voulu rendre hommage à un auteur qui, par son talent, la qualité et l’importance de son œuvre, a largement contribué à donner au scénario ses lettres de noblesses. »
En effet, c’est peu de dire qu’il a démontré de telles qualités. Aujourd’hui âgé de 80 ans, avec 52 ans de travail dans la bande dessinée et une centaine d’albums à son actif, Pierre Christin a notamment fortement marqué de son empreinte au moins trois décennies de bande dessinée.

Il fut à l’origine avec Valérian et Laureline, à la fin des années 60 – avec les fantastiques dessins de Jean-Claude Mezières en appui – de l’émergence de la science-fiction à la française. Une SF faisant la part belle au space-opera (pas pour rien que George Lucas s’en est clairement inspiré pour StarWars), mais surtout des récits nourris de réflexions sociologiques, ethnographiques, environnementales. Des qualités qui font de Valérian une série tout à fait d’actualité, qui n’a pas vieilli et, oserai-t-on dire “intemporelle” (ce qui va de soi, certes, pour des agents spatio-temporels).
Toujours porté par ce regard très politique et critique (sans être jamais partisan ou dogmatique), porté aussi par l’air du temps des 70′, Pierre Christin, c’est aussi l’album-culte Rumeurs sur le Rouergue (avec Tardi au dessin) suivie de la trilogie des “Légendes d’aujourd’hui” (avec Bilal). Ces histoires-là sont plus datées, mais possèdent toujours la même énergie réjouissante, la même aspiration utopique à voir la société se transformer.

Dans les années 80, c’est un Christin toujours aussi plus politique, voire prophétique, qui livrera – toujours avec Enki Bilal – ce qui demeurera peut-être son chef d’oeuvre : Partie de chasse (qui, mieux que bien des essais de “kremlinologues” attitrés, aura su capter la déréliction du stalinisme); une oeuvre qui avait été précédée d’un album tout aussi fort, Les phalanges de l’Ordre de noir (sur ce combat toujours engagé contre le fascisme).
En parallèle, dans une veine plus intimiste et délicate, ce furent aussi ces albums réalisés avec et pour Annie Goetzinger, superbes et singuliers “portraits souvenirs” de femme ou récits plus ludiques des polars de l’Agence Hardy.
Pour l’enseignant, l’universitaire (notamment à l’école de journalisme de Bordeaux qu’il contribua à fonder) qui amena ces toutes premières planches avec Mezières à Goscinny, alors patron de Pilote, ce prix est aussi une façon de boucler la boucle.
Pierre Christin succède à Jean Harambat pour ce prix, décerné cette année par un jury composé d’Anne Goscinny, (présidente de l’Institut René Goscinny), Jean Harambat (lauréat 2018), Stéphane Beaujean (directeur artistique du FIBD-9eArt+), Anne-Hélène Hoog (directrice du Musée de la bande dessinée d’Angoulême) ainsi que des auteur(e)s Florence Dupré La Tour et Valérie Mangin ainsi que des journalistes Anne Fulda (Figaro), Laetitia Gayet (France Inter) et du critique et spécialiste de la BD Didier Pasamonik (ActuaBD.com).
Le trophée sera remis pendant le festival international de bande dessinée d’Angoulême, le 26 janvier prochain.
